Hugo Chavez et les capitalistes
Le pays du « socialisme du XXIè siècle » connaît une très forte croissance depuis plus de trois ans… grâce à un secteur privé très dynamique. Paradoxe ? Non. Simple logique économique.
Le 22 mars dernier, la Fedeindustria, la
Confédération patronale des petites et moyennes industries a organisé un drôle
de séminaire dans l’hôtel Hilton de Caracas, au Venezuela. Financé par quelques
grandes entreprises (dont la multinationale Nestlé) et rassemblant près de 230
patrons locaux, ce séminaire a donné lieu à une franche poignée de main entre
Jorge Rodriguez, le vice-président du Venezuela et Perez Abad, le président de
l’organisation patronale.
Il faut dire que depuis la réélection d’Hugo Chavez le 6 décembre dernier, l’époque est à la détente. Après les échecs d’une tentative de putsch, de la grande grève patronale de 2002-2003 et du référendum révocatoire de 2004, le patronat s’est beaucoup attendri. Aujourd’hui, il accepte de participer à la construction du «socialisme du XXIème siècle» cher au gouvernement vénézuélien. Le président de la Fedeindustria n’hésite pas à se dire «prêt à s’engager pour construire, au côté du gouvernement, un modèle socio-productif plus équitable et un pays plus juste». Même tonalité du côté des participants : «Que nous le voulions ou non, le pays change et les entreprises doivent s'adapter» (le Monde du 16 avril).
Ainsi malgré le
socialisme et malgré la politique musclée de son président, il reste encore des
patrons au Venezuela ! Non seulement le capital privé n’a pas fuit la politique
d’Hugo Chavez (honni en France par les libéraux de gauche et de droite), mais
ses représentants les plus éminents sont maintenant prêts à « s’adapter » à la
réalité politique du pays. Mais comment cela est-il possible dans le monde
mondialisé que nous le connaissons, où l’on nous promet l’excommunication de la
croissance à la moindre revendication sociale ? Le Venezuela serait-il
magiquement parvenu à s’extraire de cette réalité économique que l’on porte en
drapeau à la Commission européenne et dans les chroniques d’Éric Le Boucher
?
Certes, le Venezuela a du pétrole. Mais c’est aussi le cas de l’Arabie
Saoudite. Si l’on compare les taux de croissance des deux pays, le Venezuela
fait 3 points de mieux que l’allié américain depuis deux ans (9% contre 6% en
moyenne). Et cela ne change pas tellement le fond de la question : comment se
fait-il qu’il y ait encore des entreprises privées et des capitaux au Venezuela
alors qu’il y a tant de paradis capitalistes ailleurs dans le monde ? La
concurrence et la libre circulation des capitaux ne devrait-elle pas avoir
depuis longtemps rayé cette économie socialiste de la surface du globe en ne
laissant que les champs de pétrole et les structures gouvernementales d’une
économie administrée ?
La vérité est que, contrairement à ce qu’on
entend partout, le capital et les capitalistes ne « fuient » pas aisément un
pays dans lequel ils ont investi. Qu’est-ce c’est que le capital ? Ce n’est pas
de l’argent qui dort sur des comptes bancaires et qu’il suffit de retirer au
guichet. Ce sont des actifs physiques, des usines, des machines, des routes et
des bâtiments. Les titres financiers qui circulent de part le monde n’ont aucune
valeur en eux-mêmes. Ils ne valent que pour ce qu’ils représentent concrètement,
c'est-à-dire les biens matériels qui servent à la production et qui créent des
richesses. Or, ces biens là ne s’envolent pas. Ils ne partent pas facilement
dans un pays étranger. Mettez-vous à la place d’un capitaliste. Imaginez que
vous êtes propriétaire d’une usine au Venezuela et que l’on vous commande de
mieux payer vos ouvriers et de respecter leurs droits sociaux sous peine
d’expropriation. Vous faites quoi ? Vous vendez votre usine ? A qui ? Vous
grognez, mais vous devez bien obtempérer devant la force de la loi et le bâton
de la police.
Jean-Marc Sylvestre et le Commissaire à la concurrence
diraient que tout cela est bien mauvais pour l’investissement. Certes, les
capitaux qui existent ne fuient peut-être pas, mais qui voudra investir et créer
de nouvelles richesses dans un pays où la liberté de l’entrepreneur est bafouée
? C’est là qu’intervient la conférence de l’hôtel Hilton. Un entrepreneur
acceptera toujours d’investir s’il a une perspective de profit minimal à la clé.
Dès lors, il suffit de garantir ce profit (même à un niveau faible) pour que les
capitalistes acceptent de serrer la main du vice-président marxisant de la
République Bolivarienne du Venezuela. La puissance de l’argent triomphe toujours
! Même s’il est rouge.
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Pour Parti Pris