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Vue de gauche

27 septembre 2013

Faire des économies rend-il plus riche ?

Alors que le gouvernement présente son projet de loi de finance pour 2014, la presse et l'opposition s'interrogent en chœur. Les français sont-ils trop taxés ? La baisse des dépenses publiques de 15 milliards annoncée fièrement par le ministre des finances n'est-elle qu'un artifice ? Et les arguments techniques ne manquent pas. A coups d'infographies pédagogiques, d'interviews de Pierre Gattaz et d’assertions d'experts venant de la galaxie ordo-libérale, le peuple finit par se ranger à l'évidence du « bon père de famille » : pour être plus riche il faut payer moins d'impôts, et pour diminuer les impôts il faut faire baisser les déficits et les dépenses publics. Le gouvernement aurait donc bien raison de se lancer dans la croisade des cures d'amaigrissement de l’État. 

Difficile, dans ce contexte, de faire entendre une expression dissonante. Et pourtant, trois siècles de pensée économique invalident ces raisonnements simplistes. S'il suffisait d'équilibrer ses comptes publics pour devenir riche, le Portugal de Salazar serait devenu la puissance économique de l'Europe, et les États-Unis de Reagan un pays en voie de développement. 

L'ARGENT N'EST PAS SYNONYME DE RICHESSE

Entendons-nous bien : il existe des pays riches et des pays pauvres. Il existe des périodes de prospérité et des périodes de régression. C'est justement en voulant comprendre l'origine de ces écarts que la science économique a émergé en tant que discipline autonome. Car la première question à laquelle elle a voulu répondre était le produit d'un paradoxe. Pourquoi l'Espagne du XVIIème siècle qui, grâce à ses colonies du Nouveau monde, avait la main mise sur la production de métaux précieux, s'était-elle tellement appauvrie ? Pour résoudre cette question on a dû se rendre à l'évidence : l'argent et les métaux précieux, s'ils sont signes de richesse, ne sont pas sources de richesse. 

Mais si l'argent n'est pas synonyme de richesse, qu'est-ce donc que la richesse ? Cette question hante encore aujourd'hui les manuels d'économie. On peut cependant tenter une réponse pragmatique. La richesse exprime l'ensemble des biens dont nous avons l'usage et qui participent à notre bien-être. Ainsi, selon Jean-Marie Harribey1, la richesse sociale d'un pays n'exprime rien d'autre que la somme des valeurs d'usage auxquels nous avons collectivement accès. Autrement dit, l'argent, qui permet d'obtenir de la richesse, n'est pas de la richesse. On ne tire en effet aucun bien-être d'un billet de vingt euros, à part celui de l'échanger contre un bon repas à la terrasse d'un bistrot. Le repas est la richesse, l'argent une manière de l'acquérir.

TROIS TYPES DE RICHESSE

Mais toutes les richesses ne sont pas acquises par de l'argent. Il existe en effet de nombreux biens non achetables. La lumière du soleil, une plage en été, un beau paysage... La nature prodigue gratuitement des bienfaits qui ont un immense impact sur notre bien-être, à tel point que nous sommes prêts à payer cher pour les préserver. La loi littoral permet par exemple de préserver la gratuité et la beauté de nos côtes, et l'établissement de parcs régionaux et nationaux protège de grands territoires du pouvoir destructeur de certaines forces économiques. 

Autre richesse gratuite, le temps que nous prenons pour nous-mêmes. Ce temps peut être mis à profit pour notre bien-être en nous reposant, en effectuant des travaux domestiques, en rendant service à la voisine... Toutes ces activités contribuent à la richesse sociale et participent au bien-être. Certaines, d'ailleurs, se substituent à une dépense. On peut soi-même repeindre son salon ou embaucher un peintre pour le faire. Le résultat en termes d'apport de richesse est à peu près identique. 

Enfin, il existe des richesses dont le coût est déconnecté de la consommation. C'est le cas du patrimoine de richesse accumulé par la société. Le canal du Midi, la tour Eiffel, le réseau routier sont des richesses dont nous disposons aujourd'hui sans les payer (sauf les autoroutes). Ce coût a en effet déjà été payé par les générations précédentes et nous n'avons qu'à entretenir ce patrimoine pour en bénéficier. C'est aussi le cas de tous les services publics. De l'éclairage des rues jusqu'à notre système de santé, en passant par l'éducation, la sécurité des villes... nous bénéficions de très nombreux avantages dont nous ne payons qu'un faible coût pour y avoir accès. 

Au final, la richesse sociale disponible se divise en deux grandes catégories : la richesse marchande (celle dont on paie le droit d'usage) et la richesse non marchande (celle dont on ne paie pas l'usage). La richesse non marchande se divise elle-même en deux sous-catégories : la richesse gratuite (les bienfaits de la nature et l'usage que l'on fait de son temps libre) et la richesse non gratuite mais dont le coût n'est pas directement supporté par les usagers (le patrimoine public et les services publics). Au total, nous nous trouvons en face de trois catégories de richesses : la richesse marchande, la richesse gratuite et la richesse publique.

INDISPENSABLE RICHESSE PUBLIQUE

Confondre argent et richesse est donc une grave erreur, car l'argent ne permet d'acheter qu'un seul type de richesse, celle qui est générée dans la sphère marchande. Aussi, une société ne s'enrichit pas en dévastant la nature, en détruisant son patrimoine ou en augmentant la durée du travail. Elle ne s'enrichit pas non plus en réduisant ses dépenses publiques. Car la production de services publics constitue une part importante de la richesse sociale. Ainsi, en 2013, l'INSEE estime que les services publics en nature offerts aux citoyens français ont représenté le quart de leur consommation effective. Cette proportion s'élève à plus de 70 % du revenu des ménages les plus pauvres, mais ne représente que 10 % de celui des ménages les plus riches 2. Non seulement la richesse publique constitue une part importante de la richesse sociale, mais sa répartition est aussi bien plus égalitaire que la celle de la richesse marchande. Autrement dit, diminuer les impôts en diminuant les dépenses publiques n'est qu'un moyen d'augmenter la part de la richesse marchande au détriment de la richesse publique. Rien n'indique que les citoyens français s'en trouveront plus riches.

 

Notes
 
1/ Jean-Marie Harribey (2013), La richesse la valeur et l'inestimable, fondements d'une critique socio-écologique de l'économie capitaliste, Les Liens qui Libèrent.
 
2/ La dernière étude de l'INSEE qui rend compte des liens entre niveaux de revenus et services publics date hélas de 2003. Elle n'en est pas moins édifiante :http://www.insee.fr/fr/themes/document.asp?ref_id=ip1264
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12 mai 2013

L'épopée absurde des 3 %

traites-rome-maastricht

Ouf ! 2 ans de sursis! C'est ce que la Commission Européenne nous a accordé, pensant que la France dépassera  les 3% de déficit public en 2013 et 2014. Mais au fait, pourquoi 3%? Pourquoi pas 4 ou 5 ou zéro? D'où vient ce chiffre magique si souvent évoqué?

Par deux articles dans La Tribune (10-2010) et dans Le Parisien (09-2012), M. Labeille nous explique avec humour qu'il en est l’inventeur : « On a imaginé ce chiffre en moins d’une heure, il est né sur un coin de table, sans aucune réflexion théorique. » En 1981, Monsieur Labeille, jeune diplômé de l’École Nationale de la Statistique et de l’Administration Économique, était chargé de mission à la direction du Budget. Il devait surveiller le budget de l’État et prévoir le déficit à venir. Selon la période (élections, pas  élections...) il devait présenter au gouvernement puis aux médias une comptabilité optimiste et raisonnable voulue par les ministres.

Il rappelle un peu d’histoire dans ces articles. En 1975 les budgets publics sont en déficit suite au premier choc pétrolier. Sous Giscard, les finances publiques entrent dans le rouge pour ne plus en sortir. En 1979, c’est le second choc pétrolier avec cette fois un déficit public de 50 milliards (de francs). En 1981, Monsieur Labeille informe le nouveau gouvernement que ce déficit de 50 milliards sera dépassé pour atteindre les 100 milliards en 1982, les différents nouveaux ministres ayant des demandes très budgétivores. Pour freiner leurs ardeurs dépensières, Mitterrand demande qu'on leur oppose une règle simple qui paraîtra irréfutable car émanant « d’experts économistes ». M. Labeille et Roland de Villepin (cousin de Dominique) seront ces experts.

Après avoir soupesé sans conviction les avantages et inconvénients qu’il y aurait à trouver une règle en s’appuyant sur les dépenses ou les recettes de l’État, la voie du déficit fut privilégiée. C’est un mot que chacun comprend, et s’il est associé au PIB on devine que parler de « déficit sur PIB » devient compréhensible.

M. Labeille fait quelques remarques et réserves d'ordre technique sur la définition du mot « déficit » et expose qu'il n’a pas le même sens s'il est ponctuel (et résorbé dans les années à venir), ou s'il est le résultat de nombreuses années « négatives ». Il estime en effet que « le ratio du déficit/PIB n’est en aucun cas une boussole, ne mesure rien, n’est pas un critère...».

C’est pourtant ce ratio qui est retenu et présenté comme étant « ce qui est le plus sérieux et le plus fondé en magasin ». Il était d'à peu près 3% cette année-là. Laurent Fabius s'en sert pour annoncer à la presse un déficit de 2,6% du PIB tandis que Jacques Delors, ministre de l'économie, officialise que le déficit ne doit pas dépasser les 3% du PIB… Laurent Fabius n'est pas en reste et déclare alors qu'il a « toujours pensé que le déficit acceptable ne doit pas dépasser 3% du PIB »…. et lui qui ne disait rien !

Bien entendu,  Delors et Mauroy useront aussi de ces 3% comme argument pour maîtriser les finances publiques, jusqu’à ce que Mitterrand en parle comme d'une évidence. Puis viendra Maastricht et ce « 3% » français, tout prêt à servir à tout le monde, puisqu’il deviendra une condition pour intégrer la zone euro.

Mais l'histoire ne s'arrête pas là. Très vite, les responsables de l'Union européenne s'inquiètent : comment garantir le respect des 3 % une fois les pays entrés dans la zone euro ? La solution viendra du Pacte de stabilité, signé en 1997, et auquel on concède à Lionel Jospin, nouvellement élu, l'ajout d'un substantif complémentaire. C'est ainsi qu'à Amsterdam est signé le Pacte de Stabilité et de Croissance (PSC) qui inscrit dans le marbre européen le critère des 3 %.

Mais paradoxalement ce critère ne satisfait personne. En 2002, le président de la Commission européenne, Romano Prodi, se permet même de le qualifier de « stupide ». La règle des 3 % est considérée comme aveugle, rigide et bien souvent inapplicable, notamment en période de récession. De fait, elle ne sera pratiquement jamais appliquée. Avec l'arrêt brutal de la croissance européenne en 2002, les trois plus grands pays de la zone euro (Allemagne, France, Italie) voient leurs déficits dépasser allégrement les 3 % entre 2002 et 2004. Bien sûr, aucune sanction n'est prise. A cette époque, Raffarin engage l'épreuve de force avec la Commission et s'explique : « Mon premier devoir, ce n'est pas d'aller rendre des équations comptables et de faire des problèmes de mathématiques pour tel ou tel bureau ». Résultat, les grands pays d'Europe obtiennent un assouplissement de la règle des 3 % et évitent les sanctions.

Après 2005, la situation se maintient quelques années. Tous les pays font semblant de respecter cette règle, tout en sachant qu'aucune sanction ne sera jamais prise vu que l'Allemagne a connu un déficit public supérieur à 3 % pendant cinq années consécutives, de 2001 à 2005 sans jamais être sanctionnée. C'est la crise de 2008-2009 qui met fin définitivement aux 3 %. En 2009, les déficits publics de tous les pays explosent. Au sein de la zone euro, seul le Luxembourg parvient à maintenir un déficit public inférieur à 3 %. L'heure est alors aux plans de soutien à l'économie et à la consommation des ménages. En France, Devedjan est nommé ministre de la relance. Des aides financières sont accordées aux chômeurs pour favoriser leur consommation. L’État intervient tous azimuts dans l'industrie, dans ses dépenses d’investissement, en instaurant le RSA, en sauvant les banques... et parvient à éviter l'effondrement de l'activité. Cette année, la France connaîtra un déficit public de 7,5 % de son PIB.

Cette parenthèse sera néanmoins de courte durée. En 2010, la crise grecque est l'occasion d'une revanche des tenants de la rigueur. C'est la BCE de Jean-Claude Trichet qui est à la pointe du combat. L'institution de Francfort s'inquiète en effet des conséquences de l'endettement massif des États sur le système bancaire européen. Il apparaît en effet que de nombreux pays du sud risquent l'insolvabilité et le défaut, ce qui serait une catastrophe pour les banques des pays du Nord. Machine arrière toute ! Les dettes doivent être remboursées. Et pour cela, rien de tel que la mise en place de politiques d'austérité drastiques, sous l'égide du FMI et sous l'arbitrage des marchés financiers et des agences de notation.

Ce renversement brutal de politique économique sera l'occasion de mettre en place une nouvelle règle d'austérité qui sera plus dure, plus brutale, en d'autres termes plus stupide que la précédente. C'est le Traité sur la Stabilité, la Coordination et la Gouvernance (TSCG) de l'Union européenne. Ce traité supprime toute référence aux 3 % et remplace ce critère par une notion encore plus confuse, le « déficit structurel » qui doit être égal à... 0 % lorsque les États connaissent une dette publique supérieure à 60 % du PIB (ce qui est le cas de la France).

Le problème est que personne ne sait comment on calcule un « déficit structurel » qui ne mesure non pas le déficit comptable, constaté en fin d'année, mais un déficit théorique celui que connaîtrait l’État si sa croissance était à son niveau « potentiel ». Or, la croissance potentielle, en période de crise, personne ne sait la calculer. Tout comme le PSC, le TSCG prévoit des sanctions pour les pays ne respectant pas cette règle. Mais comme très peu d’États sont en en mesure de la respecter, la Commission européenne a demandé aux États, non pas d'atteindre immédiatement l'équilibre, mais d'aller vers l'équilibre. C'est dans le cadre de ce retour à l'équilibre que s'inscrit le 3 % dont on parle actuellement. La règle est donc très différente aujourd'hui de ce qu'elle fut. La France ne s'est pas seulement engagée à respecter les 3 % en 2014... mais aussi à atteindre les 0 % en 2017 (maintenant 2019). Ces 3 % ne sont donc plus qu'un critère d'étape. Ils n'en restent pas moins stupidement dogmatiques. Et de même que les 3 % n'ont jamais été réellement appliqués, nous pouvons parier que le sort réservé au TSCG et aux 0 % ne vaudra guère mieux.

28 avril 2013

Un grand emprunt pour financer la relance économique et la croissance de demain

La France est riche. L'INSEE rappelle régulièrement qu'elle est, avec l'Allemagne, championne du monde de l'épargne. Avec un taux d'épargne des ménages estimé à près de 16%, elle se situe nettement au-dessus de la moyenne européenne (11%) et des États-Unis (environ 9%). La crise a encore accentué le taux d'épargne des français, les insécurités dans l'emploi et sur les retraites ayant poussé à la hausse l'épargne de précaution des plus modestes. Or, dans un monde financiarisé où les capitaux circulent librement, cette épargne n'a aucune raison de rester en France. Les entreprises réduisent leurs investissements, faute de commandes, et la crise économique réduit les opportunités et la rentabilité des projets. Nos banques, qui sont parmi les plus puissantes au monde, se sont ainsi spécialisées dans le recyclage de cette épargne. Hier, elles achetaient des titres subprimes, aujourd'hui elles spéculent sur les matières premières. L'épargne française, quand elle ne va pas gonfler les paradis fiscaux, se perd dans les méandres de la finance internationale au lieu de répondre aux besoins de l'économie française.

Ces besoins justement, ils sont immenses. C'est le constat que nous avons fait en rédigeant notre « projet de relance écologique et social ». Besoin de sécurité économique pour les classes modestes, besoin de réveiller la consommation populaire, besoin de justice et de redistribution, besoin d'investissements publics dans les transports et les énergies renouvelables, besoin de construire de nouveaux logements et de créer l'infrastructure nécessaire au développement de la voiture électrique... Tous ces besoins ne peuvent attendre que nous parvenions à un hypothétique équilibre budgétaire. Nous faisons même le pari contraire : satisfaire les besoins économiques de la France est la condition de son rétablissement.

Car notre situation est aujourd'hui très difficile. Malgré une démographie toujours dynamique (à la différence d'autres pays européens) la croissance française est au point mort. Le pouvoir d'achat des ménages a baissé ; l'investissement et la rentabilité des entreprises françaises se sont effondrés. Dans un tel paysage, il est illusoire de croire que la compétitivité externe et plus généralement les « réformes structurelles » suffiront à faire repartir notre économie. Au mieux, les gains en matière d'amélioration de la balance commerciale compenseront les efforts demandés aux Français. Au pire, ils se heurteront à l'agressivité des politiques néo-mercantilistes menées ailleurs en Europe et ne produiront aucun emploi en France, tout en dégradant les conditions et les revenus du travail.

Pour sortir de cette impasse, nous préconisons un choc de relance de 43 milliards d'euros, dont 28 seront financés par la dépense publique. On nous dit qu'il n'y a plus d'argent, que l’État est en faillite. Nous répondons que jamais dans l'histoire l'argent n'a été aussi bon marché, puisque la France emprunte aujourd'hui à moins de 2 % à dix ans. C'est d'ailleurs tout le paradoxe de la situation présente : l'épargne des ménages cherche vainement à se placer, même à faible prix, et notre « sérieux budgétaire » lui claque la porte au nez.

Notre plan de relance ne constitue rien d'autre qu'une tentative pour concilier les besoins de nos épargnants avec les besoins de notre économie. Nous proposons pour cela de lancer un grand emprunt populaire, rémunéré au taux du marché, soit environ 2 %. Les épargnants trouveront ainsi un placement sécurisé, simple et utile pour notre économie, légèrement mieux rémunéré que le livret A (1,75%). Afin de garantir la liquidité de cette épargne, l’État s'engagera à racheter ses créances aux souscripteurs qui en feront la demande. Cet emprunt aura ainsi un double avantage. D'un côté il donnera une vraie perspective citoyenne aux épargnants dont beaucoup sont réticents à placer leur argent dans des fonds dont la gestion est parfois opaque ; d'un autre côté il permettra à l’État de financer ses dépenses d'avenir sans avoir de comptes à rendre aux marchés financiers. Nos concitoyens auront ainsi l'assurance que l'argent récolté sera utilement dépensé, tandis que l’État pourra s'assurer d'une source de financement pérenne pour développer des projets ciblés et porteurs de croissance.

22 avril 2013

Un plan de relance écologique et social, c'est maintenant!

L’austérité généralisée, cela ne marche pas. Nous le savions depuis les années 30, nous en avons aujourd’hui la confirmation. Même les économistes les plus éminents se rendent à l’évidence et doivent admettre leurs erreurs à l’instar d’Olivier Blanchard, économiste en chef du FMI, qui a reconnu en janvier dernier qu’en période de crise diminuer les dépenses publiques entraînait une diminution plus que proportionnelle de la croissance économique, ou à l’image de ces deux économistes de Harvard dont il a été prouvé il y a quelques jours que l’étude qui liait faible croissance économique et niveau des dettes publiques était entachée d’erreurs.

L’austérité ne marche pas. Il suffit d’en observer les effets économiques désastreux en Grèce, où le PIB a reculé de près de 20 % en quelques années et où le taux de dette publique n’a jamais été aussi élevé malgré l’aide européenne et malgré l’annulation d’une partie de cette dette, et bien que la Grèce ait suivi scrupuleusement toutes les directives de la Troïka depuis trois ans. Tant de plans de rigueur, tant d’échecs. L’austérité ne marche pas plus en Espagne, en Italie ou en France, pays dans lesquels les déficits publics sont régulièrement révisés à la hausse et les taux de croissance régulièrement révisés à la baisse. L’austérité ne marche pas plus en Allemagne où le taux de pauvreté n’a jamais été aussi élevé, où la croissance économique a brutalement chuté au quatrième trimestre 2012, qu’elle ne marche au Royaume-Uni ou aux Pays-Bas. Aux Pays-Bas justement où le gouvernement libéral, autrefois si intransigeant sur les déficits des pays du sud, a récemment pris acte de cet échec en décidant d’abandonner sa politique d’austérité.

L’austérité ne marche pas. Il suffit de comparer la situation américaine à la situation européenne. Aux États-Unis, Obama n’a pas hésité, dès 2009, à dépenser 800 milliards de dollars pour relancer la demande intérieure et l’investissement public. Depuis, la bataille constante qu’il mène contre son Congrès pour éviter le piège de l’austérité a sauvé l’économie américaine. La croissance est repartie et le taux de chômage est à nouveau orienté à la baisse. Loin de ce volontarisme, la politique de « redressement » budgétaire menée par la Commission européenne et soutenue par la BCE n’a produit que de la récession économique et une hausse constante du chômage.

Il est plus que temps d’admettre ces évidences et de prendre en compte les résultats sans ambiguïté des travaux de de nombreux économistes. Il est plus que temps de tirer les leçons de 150 ans d’histoire économique qui nous ont appris que les crises de la dette ne se résolvent jamais par un remboursement de celle-ci, mais toujours par une hausse de la croissance et une intervention ambitieuse de l’État. Les gouvernements européens doivent se débarrasser de leurs ornières idéologiques et prendre la mesure de leur responsabilité historique. Non, il n’est pas sérieux de n’avoir qu’une vision statique et comptable de l’action publique; ce n’est pas faire preuve de rigueur économique que de ne pas profiter des taux d’emprunts historiquement faibles que nous connaissons actuellement.

Dans ce document, nous avons montré qu’il existe une alternative et que celle-ci est à la fois crédible et nécessaire. Un grand emprunt populaire nous permettra à la fois d’échapper à la logique absurde des marchés financiers et d’utiliser l’abondante épargne des français à des investissements utiles pour notre pays. La relance des infrastructures publiques et du logement pourra se substituer à l’investissement privé, atone faute de demande. Alors que pour la première fois depuis 1993 le pouvoir d’achat des ménages français régresse, nous avons montré que la hausse de la consommation des français modestes est non seulement pertinente d’un point de vue économique, mais que c’est surtout une condition du redressement de notre économie. Pendant sa campagne, François Hollande avait promis le redressement dans la justice. Notre plan permet d’affirmer que ces deux principes doivent et peuvent se conjuguer au présent.

Mettre en oeuvre un plan de relance éconologique et social pour la France et pour l'Europe

20 avril 2013

La sincérité, voila la compétence!

Voltaire n’est pas qu’une promotion de l’ENA. C’est aussi un philosophe. « La politique est le premier des arts et le dernier des métiers » disait-il. On serait tenté aujourd’hui de la renvoyer à la figure de Stéphane Fouks et de l’agence Havas Worldwide, et de tous ceux qui ont si bien conseillé Jérôme Cahuzac lors de son « interview vérité » mardi dernier sur BFM. Le lendemain, les commentateurs moquaient cette communication trop parfaite, trop peu sincère, dont l’aveu d’une « faute morale » rappelait tellement Dominique Strauss -Khan, en son temps également conseillé par les mêmes.

La communication autour d’une parole creuse, n’a rien de politique. Elle met en scène un cirque médiatique, exhibant un homme honnis, parvenu au stade de la confession comme une vulgaire star de télé-réalité. « Allô, quoi ? » On se demande ce qu’on fiche là, à regarder ce personnage si peu crédible exprimer des remords si peu intéressants. « Pathétique » lâcha Jean-Marc Ayrault le lendemain sur France Inter. Parlait-il de son ex-ministre ou bien de l’interview ? Toute la situation est en réalité pathétique.

Car ne traiter l’affaire Cahuzac que comme une dérive personnelle, c’est refermer bien des questions légitimes. Bien sûr on doit saluer l’effort engagé par le Président de renforcer les règles qui encadrent le travail politique. Peut-on admettre, comme le fit Jérôme Cahuzac, qu’un ancien membre du cabinet du ministère de la santé fasse fructifier son carnet d’adresses en conseillant très lucrativement les laboratoires pharmaceutiques ? Peut-on admettre, plus généralement, ce mélange des genres qui permet à certains responsables politiques de mêler service public et services privés, d’élaborer des lois d’un côté et de conseiller ceux qui les contournent de l’autre ? On est pris de vertige lorsqu’on pense que ce spécialiste de la fiscalité et des comptes publics a pu à la fois devenir ministre du budget socialiste et trafiquer avec des réseaux d’extrême droite pour planquer ses revenus non déclarés.

Cahuzac s’abrite derrière sa « part d’ombre », et on nous ressert l’histoire du bon Jekyll et du méchant Hyde sans voir qu’il y a en réalité beaucoup plus de cohérence qu’il n’y paraît dans les vies de cet homme. Car enfin ! un socialiste qui ne croit pas en la lutte des classes, qui mène sans complexe une politique d’austérité absurde, sans même chercher à lui donner un sens politique, un cardiologue qui abandonne l’hôpital public pour créer une clinique d’implants capillaires, a-t-il vraiment des valeurs de gauche ? La question a-t-elle effleuré les socialistes qui l’ont porté à l’Assemblée et ceux qui l’ont mis au gouvernement ?

Car au fond de quoi Cahuzac était-il le nom ? Du temps où il était encore fréquentable, ses amis louaient ses compétences techniques, sa bonne maîtrise des dossiers et son efficacité au travail. Pas un n’a jamais évoqué la force de ses convictions, l’originalité de sa vision politique, son sens du peuple, son esprit civique ou la qualité de sa pensée. Jérôme Cahuzac n’a jamais publié le moindre livre, il n’a jamais déposé le moindre texte au Parti socialiste. Il est rentré en politique par son travail et ses compétences techniques, dans un cabinet. En un peu plus de 20 ans de carrière politique il n’a jamais été que cela. Au fond, c’était un techno, sans idée et sans réelle conviction.

Et c’est là qu’il faut revenir à Voltaire. La politique est art plutôt que métier. C’est l’art de créer du possible et non celui de gérer les contraintes. Or Cahuzac était davantage un comptable qu’un artiste ; il était technicien plutôt que visionnaire. Son orthodoxie budgétaire était le produit d’un manque absolu de sens politique. En cela, il n’avait rien d’un Strauss-Khan qui savait au moins habiller son libéralisme économique d’une perspective politique. Ce n’était pas le cas de Jérôme Cahuzac, qui était incapable de comprendre que le symbole de la taxe à 75 % sur les haut revenus n’avait pas pour objectif d’équilibrer les comptes publics mais servait surtout à mettre un pied dans la porte de la forteresse des possédants.

François Hollande avait su, pendant sa campagne, exprimer les attentes du peuple de gauche. Il avait su incarner, dans son discours du Bourget, une vision politique. Puis il s’est entouré de la promotion Voltaire, de Jérôme Cahuzac et d’autres technos. Il a fait, avec des ministres sans vision, un gouvernement sans perspective. Voilà le fond de l’affaire Cahuzac et voilà ainsi posé le moyen d’en sortir par le haut : refaire de la politique, laisser les compétences dans les cabinets et les administrations et privilégier les hommes et les femmes de conviction au gouvernement. Car s’il y a une leçon à tirer de toute cette affaire c’est qu’en politique il n’y a pas de plus grande compétence que la sincérité des combats.

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28 mars 2013

Chypre: La crise qui change tout

« Ultimatum », « blocus »… On peine à croire que de telles expressions aient pu être utilisées pour commenter l’actualité européenne. C’était la guerre. La guerre économique. Au petit matin du 16 mars, après une nuit de négociations, les autorités européennes avaient convaincu le président chypriote d’imposer une série de mesures de rigueur et une taxation des comptes bancaires pour éviter la faillite du système bancaire de l’île. La population était sensée se soumettre, le Parlement devait entériner. Ainsi va la démocratie en Europe ; la Troïka devient l’instance proconsulaire de tout pays qui demande l’aide européenne. Ainsi va la solidarité en Europe ; on fait payer aux peuples les mesures qui sont sensées éviter la faillite généralisée du système bancaire européen.

Le laxisme financier de l’Union européenne

Car telle est l’ironie de la situation présente. Pendant des années, l’Union n’a cessé d’encenser des « modèles » économiques tels que l’Espagne et l’Irlande dans lesquels se sont développées de gigantesques bulles financières et immobilières ; elle a activement favorisé la dérégulation et l’autorégulation des banques sans jamais en mesurer les risques ; elle a accepté que se développent en son sein des paradis fiscaux, des places financières géantes et hors de tout contrôle qui ont prospéré grâce à la souplesse de leur législation et à l’opacité de leur système bancaire. Rivés sur les chiffres des déficits et des dettes publiques, obnubilés par la flexibilisation du marché du travail, les dirigeants européens n’ont été capables ni de prévenir, ni de comprendre la gigantesque bulle financière qui s’est créée depuis l’instauration de la monnaie unique.

Dette de la zone euro 1999-2012

Les chiffres de la Banque centrale européenne sont pourtant éloquents. En décembre 1999, l’endettement total de la zone euro s’élevait à environ deux fois et demi son PIB (258 %). En juin 2010, quelques dix ans plus tard, cet endettement atteignait 375 % du PIB. D’où cette explosion de la dette est-elle venue ? Clairement pas des États, dont l’endettement n’a pratiquement pas augmenté sur cette période. C’est principalement la dette du secteur financier qui explique la hausse de l’endettement de l’économie européenne. Une dette qui a plus que doublé en à peine dix ans, pour représenter près de 100 % du PIB en 2010. Cette dette du système financier, qui s’est accrue indépendamment de l’activité économique est bien évidemment un facteur important d’instabilité et de fragilisation du système bancaire européen.

Finance vs Gov-FR

Ce qui était très prévisible a donc fini par arriver : la crise américaine des subprimes et la faillite de Lehman Brother ont été les facteurs déclenchants, l’étincelle qui a mis le feu à système bancaire profondément malade. Or, face à cette crise, la réponse européenne a été remarquable de constance. Quoi qu’il arrive, il ne fallait surtout pas faire payer ceux qui avaient accumulés un tel stock de dettes, les banques et les créanciers.

Protéger les créanciers et faire payer les États

Qui dit dette dit créance. Qui dit hausse de la dette, dit hausse des créances. On ne mesure bien l’effet de cette bulle qu’en comparant la situation actuelle avec celle de 1999. Dans cette logique, revenir au ratio d’endettement qui prévalait à l’époque reviendrait à faire disparaître une dette équivalent à 120 % du PIB de la zone euro soit… environ 11 000 milliards d’euros. 11 000 milliards d’euros de dettes en moins, soit 11 000 milliards d’euros de créances en moins.

Or, si la logique politique est d’éviter de faire payer les créanciers, il devient nécessaire d’intervenir à chaque départ de feu. Si une banque fait faillite, l’État doit se porter à son secours ; si un État fait faillite, d’autres États doivent assurer le remboursement des créances. Cette logique de sapeur Camembert ne pouvait conduire qu’à l’austérité généralisée. L’austérité doit ici être entendue comme le produit d’une stratégie qui consiste à rembourser 11 000 milliards d’euros de dettes en ponctionnant l’activité économique, c’est à dire en taxant ceux qui produisent des richesses, les travailleurs, les entreprises ; et en diminuant les prestations sociales, la qualité des services publics.

Le souci est que cette stratégie a précipité de nombreux pays dans la dépression et n’a rien résolu du tout ; car au fur et à mesure que les créances sont payées, l’activité économique décroit, souvent de manière plus que proportionnelle. Ainsi, il n’est pas rare que la dette diminue moins vite que ne disparaît l’activité économique. Schématiquement, plus le pays rembourse, plus sa situation économique se dégrade, et plus sa santé financière se précarise. Au lieu de résoudre le problème on l’aggrave.

Le malade mourra malade

Peut-on d’ores et déjà mesurer le résultat de cette politique ? Entre juin 2010 et septembre 2012, la dette domestique de la zone euro est passée de 375 % du PIB à… 371 %, soit un rythme de réduction de la dette de l’ordre de deux points de pourcentage par an. Allez, à cette vitesse encore 60 ans d’austérité et l’Union européenne pourra retrouver son niveau d’endettement de 1999 !… A condition toutefois que l’économie européenne existe toujours à cette date. Ce qui n’est pas dit. En Grèce, les mesures d’austérité ont fait disparaître près du quart de l’activité économique en cinq ans. Si l’on continue sur cette voie, on n’ose imaginer ce que sera devenue la population grecque dans 10 ou 15 ans.

Mais l’évidence des faits est, lentement, en train de s’imposer aux cerveaux embrumés par les dogmes et les idées simples. Il est impossible à la zone euro de rembourser 11 000 milliards d’euros. Aucune mesure d’austérité ne sera assez forte pour y parvenir. Certes, à force d’austérité, l’économie européenne finira très certainement par disparaître : mais elle disparaîtra endettée. C’est en quelque sorte ce qu’à admis Olivier Blanchard, l’économiste en chef du FMI, lorsqu’il a dû reconnaître, en janvier dernier, que le « coefficient multiplicateur » des dépenses publiques était supérieur à 1 ; c’est à dire que toute réduction des dépenses, toute hausse des recettes publiques, entraîne immanquablement une réduction de l’activité économique supérieure aux économies réalisées. Autrement dit, toute ponction sur l’activité économique génère une perte d’activité plus grande que le montant de dette qu’elle rembourse. Si l’on part du principe qu’il faut réduire la dette de 120 % du PIB, on en déduit assez logiquement que la zone euro sera encore très endettée lorsque son PIB tombera à zéro.

Un insoluble problème de plomberie

Tout cela peut se comprendre simplement. L’erreur est de confondre les stocks et les flux. La dette est un stock, le PIB est un flux. La stratégie de la rigueur consiste à prélever sur le flux pour abonder le stock. Sauf que ce flux est un flux circulaire. Toute dépense d’un agent économique est une recette pour un autre agent économique. En prélevant sur les dépenses, on diminue le volume du flux et donc la capacité à prélever plus tard sur les recettes qu’auraient entraînées ces dépenses. Imaginons de l’eau qui circule dans un bassin en circuit fermé. S’il y a cent litres d’eau qui circulent, vous ne pourrez certainement pas remplir un seau de 120 litres en prélevant l’eau du bassin.

Voilà pourquoi le plan de sauvetage de Chypre change tout. Pour la première fois, les autorités européennes ont admis qu’on pouvait gérer un problème de stocks par… un prélèvement sur les stocks, et que la meilleure façon de le faire c’était de diminuer d’autorité les dettes et les créances. En effet, quelle que soit la manière dont on le prend, le plan européen de taxation des comptes bancaires revient à un plan de restructuration des dettes.

Chypre : laboratoire d’une solution nouvelle ?

En quoi a consisté ce plan ? Les banque chypriotes sont en situation de faillite. Elles ont besoin de 17 milliards d’euros. Une partie de ces 17 milliards devait être financée par l’État chypriote via un prêt de 10 milliards accordé par les autres États européens, ce surcroît de dette publique devant être remboursé par d’absurdes mesures d’austérité. C’est le jeu classique de la socialisation des pertes auquel la Troïka nous a habitués. Mais c’est dans l’autre partie que réside l’originalité du plan : taxer les dépôts et l’épargne des clients des banques chypriotes, notamment les dépôts de plus de 100 000 euros. En effet, les déposants sont aussi les principaux créanciers des banques. C’est bien une partie de cet argent qui a été mal placée et qui a été perdue. Si on laissait les banques chypriotes faire faillite, la plus grande partie des 17 milliards d’euros de pertes serait de toute façon payée par leurs clients. Au final, le plan a donc consisté à ne faire contribuer les déposants qu’à hauteur de 7 milliards. 7 milliards de créances et de dettes qui ont disparus en quelques heures, soit l’équivalent du tiers du PIB de l’île.

Certes, de l’argent qui disparaît, cela signifie bien un appauvrissement de la population. Mais ce n’est pas le même argent que celui qu’on taxe lorsqu’on mène une politique d’austérité. Ici, il s’agit d’argent stocké dans les comptes d’épargne et qui n’avait pas forcément vocation à être dépensé dans l’immédiat. C’est en quelque sorte un argent stérile qui n’alimente pas le flux économique, surtout si l’on considère que l’on parle d’une taxe qui ne devrait concerner que les sommes supérieures à 100 000 euros.

L’alternative à l’austérité : faire payer les créanciers

Au final, le plan chypriote est le signe d’un vrai changement de paradigme. On commence à comprendre que ce ne sera pas par le remboursement des dettes que se réglera la crise européenne, mais par l’organisation d’une restructuration globale des dettes. Cette restructuration impliquera mécaniquement des pertes pour les créanciers, c’est à dire pour toute personne qui aura accumulé des stocks de créances et d’argent dans le système financier européen.

On peut donc s’attendre à ce que cette solution soit imitée, sans doute dans des modalités différentes. Si cela fait peur aux épargnant européens et les incite à dépenser leur argent, ce sera au bénéfice des flux économiques et de l’emploi. Si cela incite les États européens à contrôler plus sérieusement les mouvements financiers pour éviter la panique et l’exode de leur épargne nationale (comme on le voit actuellement à Chypre), ce sera aussi une très bonne chose. Si cela permet de résoudre la crise selon des modalités discutées, où l’on décide qui paie et combien, quels épargnants sont mis à contribution et selon quelle règles, alors ce ne pourra que renforcer le contrôle démocratique des forces économiques et ce sera aussi une très bonne chose. Enfin, si cela permet d’éviter l’absurde austérité actuelle, ce sera toujours ça de gagné pour tous ceux qui souffrent et qui sont victimes depuis cinq ans d’une crise dont ils ne sont pas responsables.

20 décembre 2012

« le protectionnisme n'est pas l'autarcie »

Entretien avec l'Anjou Laïque, trimestriel de la Fédération des Œuvres Laïques de Maine et Loire qui paraîtra dans le numéro 103, disponible fin janvier.

Site Internet: http://www.fol49.org/anjoulaique/

 

Anjou Laïque : Le protectionnisme est un principe vilipendé par les tenants du libre échange, ce qui est logique. Mais il est aussi mal vu à gauche, notamment chez les alter mondialistes, où il est pressenti comme l'amorce d'un nationalisme. Que pensez-vous de cette situation qui dans l'immédiat laisse peu d'espoir aux travailleurs victimes des délocalisations et de la déflation salariale.

Novemberleaf : Clairement, les mouvements de gauche et alter-mondialistes manquent d'un discours clair sur la question du protectionnisme. D'un côté, portés par les valeurs internationalistes, ils défendent l'objectif d'un monde uni, ce qui les a amené à défendre de justes causes comme la décolonisation, et aujourd'hui le développement des pays les plus pauvres de la planète ; d'un gauche côté, ils se sont toujours présentés comme le produit politique des intérêts des classes les plus pauvres, en particulier des travailleurs de l'industrie, premières victimes des délocalisations.

La difficulté vient du fait que les discours dominants aujourd'hui en économie tendent à laisser penser que ces deux objectifs sont contradictoires, et que défendre les intérêts des travailleurs en France en pratiquant des politiques protectionnistes serait incompatible avec le développement des pays émergents dont le processus d'industrialisation actuel repose sur les exportations. Or, on peut assez facilement montrer que cette théorie dominante, qui fait du libre échange l'alpha et l'omega des politiques de développement est fausse, historiquement et théoriquement.

Les grands historiens de l'économie tels que Paul Bairoch1, pour ne citer que lui, ont depuis longtemps montré que des coûts de transports élevés et les pratiques commerciales protectionnistes ont été l'un des principaux facteurs de développement industriel de l'Europe au XIXème siècle. Bairoch relève également un paradoxe qui est aujourd'hui largement mis de côté par les tenants du libre-échange : les phases protectionnistes ont été celles pendant lesquelles le commerce international s'est le plus développé. Car, il faut insister sur ce point : le protectionnisme ce n'est pas l'autarcie. En permettant la mise en œuvre de politiques sociales, le protectionnisme européen de la fin du XIXème siècle a clairement favorisé la croissance économique et donc le commerce, alors que les politiques libre-échangistes des années 1850-1870 ont profondément déstabilisé le développement et les échanges commerciaux des pays européens.

Aujourd'hui, la même question se pose pour les pays émergents. La politique de dumping menée actuellement par certains pays, notamment asiatiques, conduit à l'exaspération sociale de leurs travailleurs en même temps qu'elle affaiblit le pouvoir d'achat et la situation économique de leur clientèle issus des pays développés. Rappelons que l'une des causes de la crise actuelle se trouve dans les gigantesques déséquilibres commerciaux des années 90-2000, en particulier du déficit commercial américain. Notons, enfin, que le gouvernement chinois a parfaitement conscience des limites de ce modèle de développement et tend aujourd'hui à susciter un rééquilibrage de la croissance chinoise en direction de sa demande interne. La Commission européenne, qui vient de supprimer la taxe anti-dumping qu'elle imposait aux briquets chinois depuis 1991 est malheureusement encore très éloignée de cette prise de conscience.

 

A. L. : Le protectionnisme européen a des adeptes, mais comme le souligne Frédéric Lordon, les structures économiques et les protections sociales inégales en Europe, crééent des distorsions et faussent la concurrence intra-européenne. Ainsi des industries du sol français se délocalisent dans des pays européens. Faut-il attendre l'Europe sociale ou prendre tout de suite des mesures qui protégeraient le tissu industriel national en même temps que les acquis sociaux ?

N. : Les mêmes causes produisant les mêmes effets, il se passe au sein de l'Europe le même phénomène qu'au niveau mondial. Les pays les moins industrialisés se développent en pratiquant une politique de dumping fiscal et social pour attirer les investissements des pays les plus riches. Mais on oublie de dire que cette politique a été initiée par les pays du nord de l'Europe. Ainsi, depuis les années 1990, l'Irlande a attiré les investissements en imposant très faiblement les sociétés installées sur son territoire (12,5 % au lieu de plus de 30 % en moyenne dans les autres pays de la zone euro). Au même moment, la Suède réformait son modèle social pour le rendre plus compétitif. Enfin, en 2003-2005, l'Allemagne a fait passer des réformes très dures qui ont conduit à la stagnation salariale de l'Allemagne. Les pays d'Europe centrale, régulièrement accusés de dumping n'ont, en réalité, que suivi la voie montrée par les pays d'Europe du nord. Ces politiques menées par les nouveaux entrants étaient d'autant moins évitables que l'Europe a peu aidé au développement de ces pays en n'accompagnant pas l'élargissement européen de fonds structurels à la hauteur.

Ce développement du dumping intra-européen est d'autant plus dommageable que l'Europe s'était constituée, à l'origine, comme un espace de coopération économique et commerciale : interdiction du protectionnisme intra-européen, union douanière et politiques monétaires coordonnées, contre solidarité et coopération entre États membres. Or, aujourd'hui, ces principes sont détournés de leurs objectifs premiers. L'harmonisation économique européenne et la constitution d'un grand marché ont servi à intensifier la concurrence au lieu de faciliter la coopération. Dans le contexte de cette exacerbation concurrentielle, les règles européennes et l'euro, qui interdisent d'agir sur les droits de douanes ou par des dévaluations, poussent les pays européens à généraliser les politiques de dévaluation sociale. Et non seulement les institutions européennes ne l'interdisent pas, mais elles encouragent ces politiques, en particulier dans les pays d'Europe du sud qui sont mis aujourd'hui sous tutelle de la « troïka » (BCE, Commission européenne et FMI). Nous assistons donc à un véritable retournement historique : au nom de la compétitivité, les institutions européennes incitent les gouvernements européens à mener entre eux une véritable guerre économique qui renforce la crise plutôt qu'elle ne la résout2.

Dans ce contexte, il est du devoir de la France, non seulement de protéger son industrie, mais aussi de porter une autre vision européenne, loin des idéologies actuellement en vogue à la Commission. Pour répondre à votre question, l'objectif de l'Europe sociale n'est pas incompatible avec la prise de mesures anti-dumping au niveau national. Dans toute négociation, il ne faut pas seulement des arguments, il faut aussi des armes de dissuasion.

 

A. L. : Les divergences sur le protectionnisme à gauche ne reflètent-elle pas des approches politiques différentes entre ceux qui veulent tout de suite un autre monde en unissant les peuples au delà de leurs frontières et ceux qui, en s'appuyant sur les nations et les souverainetés populaires, pensent qu'il faut d'abord "démondialiser" pour construire de nouvelles coopérations inter-nationales ?

N. : Je crois que les divergences au sein de la gauche sont surtout le produit d'un manque de réflexion sur ces questions. Les responsables politiques de gauche sont aujourd'hui intoxiqués par des raisonnements simplistes du type : le protectionnisme c'est la guerre, le libre-échange, c'est le développement... Pourtant, les difficultés internes que connaît aujourd'hui l'Union européenne démontrent par l'absurde la vacuité de ces clichés idéologiques. Le grand marché ultra concurrentiel européen pousse à la guerre commerciale, au racisme envers les pays en difficulté (il suffit de lire les propos de la presse conservatrice allemande sur la Grèce et les pays du sud pour s'en convaincre) et à la crise économique par l’asphyxie de la demande des ménages. Dans tous les pays européens on constate une monté des partis d'extrême droite et du populisme. Voilà le bilan des politiques menées depuis l'Acte unique de 1986 et le tournant libéral.

Les partis de gauche devraient produire moins de discours moralisateurs et davantage de cohérence et de réflexion. Démondialisation et alter-mondialisme sont les deux faces d'une même politique. Défendre les travailleurs d'ici, c'est défendre les travailleurs de là-bas. En taxant les marchandises qui sont produites dans les pays qui ne respectent pas des normes élémentaires en matière de salaires et de droit du travail, on aide les revendications des travailleurs de ces pays en même temps qu'on soutient l'emploi industriel dans notre pays.

1Mythes et paradoxes de l'histoire économique, La découverte, 1999 et Victoires et déboires, Gallimard, 1997.

2Pour plus de détails, lire: « Compétitivité : le retour de l'idéologie de la guerre économique », Parti Pris, décembre 2012, http://partipris.info.

7 décembre 2012

Compétitivité: le retour de l'idéologie de la guerre économique

 

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Un spectre hante l'Europe : le spectre de la compétitivité. Depuis que la crise étend ses effets sur notre continent, les entreprises s'inquiètent de voir le « grand marché européen » qu'on leur avait tant promis se transformer peu à peu en un immense champ de bataille hyper-concurrentiel. Cette Europe qui avait été conçue pour être un espace d'expansion du capitalisme s'est soudain transformée en système récessif.

Les entreprises ne se battent plus pour gagner des parts de marché. Elles se battent pour leur survie. Depuis 2007, les marges des entreprises françaises ont connu un recul historique, atteignent, en 2011, leur plus bas niveau depuis 19851. La situation est encore plus grave dans l'industrie manufacturière où l'on constate un véritable effondrement. En seulement trois ans de crise, le taux de marge est passé de 28,3 % en 2007 à 23,8 % en 2010. Plus de 300 000 emplois industriels ont disparu pendant cette période.

On ne peut pas comprendre l'actuelle hystérie des gouvernements européens pour la mise en œuvre de plans de compétitivité et de baisse des coûts salariaux si l'on ne perçoit pas cette réalité. L'influence du lobby patronal est à la mesure de la gravité de la situation dans ses entreprises. Renault et Peugeot perdent bataille après bataille face à Wolkswagen. Au même moment, au sud, la crise immobilière qui sévit de l'autre côté des Pyrénées pousse les entreprises du bâtiment à chercher meilleure fortune sur nos terres. Pour survivre, elles cassent les prix et fragilisent un secteur immobilier déjà en situation difficile. Dans tous les secteurs, de toutes parts, l'intensité de la concurrence, poussée par l'effondrement de la demande, réduit les marges des entreprises européennes. Celle-ci n'ont plus seulement à faire face à la concurrence asiatique ; elles se font la guerre entre elles, et c'est une lutte à mort.

 

L'EUROPE DU SUD EN PREMIÈRE LIGNE

Les gouvernements sont paralysés à l'idée de perdre cette guerre et ils sont prêts à toutes les compromissions pour aider leurs entreprises à repousser les invasions économiques. Ils affûtent des plans de compétitivité comme naguère on préparait des stratégies de conquête. L'année 2012 fût particulièrement riche en la matière, en particulier chez les nouveaux dirigeants issus de la crise. En Italie, Mario Monti engagea ses réformes dès le début de l'année 2012. Il commença par s'attaquer aux retraites avec une réforme particulièrement brutale qui réussit à la fois à rallonger la durée de cotisation (de 40 à 42 ans), à reculer l'âge minimal de départ à la retraite (66 ans en 2018) et à réduire le montant des pensions. Au printemps, le gouvernement italien s'attaqua à la réforme du marché du travail. L'objectif, clairement affiché, était de faciliter les licenciements des entreprises en échange d'une indemnisation et d'une sécurisation sociale des salariés. La fameuse « flexi-sécurité ». Les aides directes aux entreprises ne furent pas écartées : réduction des cotisations sociales pour certains emplois, aide à l'investissement des entreprises, instauration d'un crédit d'impôt pour les dépenses de recherche ou d'économie d'énergie. Tout cela fut financé en ponctionnant le pouvoir d'achat des ménages, au nom de l'effort de la guerre.

Installé aux manettes de l'Espagne le 20 décembre dernier, Mariano Rajoy ne manqua pas non plus l'occasion de muscler la compétitivité économique de ses entreprises. En dehors des mesures d'austérité qui touchèrent particulièrement les fonctionnaires et les classes moyennes, le gouvernement espagnol s'est attelé, dès le mois de février, à faire passer une réforme du marché du travail encore plus drastique, puisque non seulement elle visait, comme sa cousine italienne, à faciliter les licenciements, mais elle permettait aussi aux employeurs d'imposer des baisses de salaire ou de redéfinir à leur guise la fonction, les horaires et le lieu de travail de leurs salariés. Les contrats de travail sont ainsi devenus amendables, à la discrétion du patronat. Au passage, le gouvernement espagnol en profita pour transformer la hiérarchie du droit social en faisant prévaloir les accords d'entreprise sur les conventions de branche. Enfin, à l'inverse du cas italien, ce démantèlement accéléré du droit du travail ne s'est pas accompagné de mesures sociales compensatoires. Au contraire, la réforme entérina une baisse des indemnités légales de licenciement qui passèrent de 45 jours de salaires par année d'ancienneté à 33 jours, voire 20 jours si l'entreprise peut justifier de trois mois consécutifs de pertes. C'est ainsi que le gouvernement espagnol s'engagea lui aussi dans une véritable politique de dumping social.

En Grèce et au Portugal les mesures de baisse des coûts salariaux et d'affaiblissement du droit social sont plus anciennes. Mais il faut dire qu'en matière de flexibilité, le Portugal faisait figure de pionnier. C'est en effet en 1978 que le gouvernement portugais instaura le système des « recibos verde » (reçus verts). Imaginés à l'origine pour faciliter la rémunération des professions libérales, le système a l'avantage pour l'employeur de n'imposer aucune cotisation patronale ; c'est à l'employé que revient l'obligation de cotiser à un organisme de protection sociale (quand ses finances le lui permettent). Ce dernier est d'ailleurs davantage un prestataire qu'un employé. C'est toute l'ambiguïté sur laquelle repose ce système qui est aujourd'hui massivement utilisé à la place du contrat de travail. Considéré comme exerçant une profession libérale, le travailleur ne bénéficie de pratiquement aucun droit social. Il peut être licencié du jour au lendemain, sans prévis et sans indemnités ; il n'a le droit à aucune assurance chômage, ni congé payé. Plus de 20 % des actifs portugais sont aujourd'hui concernés par ce régime, dont 140 000 qui travaillent pour la fonction publique.

Malgré l'extrême précarité du droit social local, le gouvernement portugais ne s'est pas exempté d'une réforme du marché du travail à destination des salariés qui ont la chance de bénéficier d'un vrai contrat. Avec la crise, et sous pression de la Troïka (l'alliance de la BCE, la Commission européenne et du FMI), le gouvernement portugais lança en janvier 2012 une réforme pour « assouplir » les règles en matière de temps de travail et de recours aux licenciements. Particularité locale, cette réforme supprima également quatre jours fériés.

Enfin, que dire des réformes en Grèce ? Elles surpassent tout ce qu'on peut imaginer en matière de démantèlement du droit du travail. La bataille engagée pour améliorer la compétitivité des entreprises grecques a entraîné le pays dans une véritable spirale de réformes toutes plus brutales les unes que les autres. Ainsi en 2010, la Troika imposa pas moins de quatre réformes du marché du travail. Chacune apporta sa contribution en matière de flexibilisation des horaires de travail, de facilitation des licenciements ou de diminution les salaires, en particulier du salaire minimal. Comme ces mesures échouèrent à redresser l'économie grecque qui s'enfonça encore davantage dans la crise, deux nouvelles lois furent adoptées en 2011, en échange de rares sursis financiers de la Troïka, et avec la même logique et le même succès. Enfin, en février 2012, la Grèce instaura une septième réforme du marché du travail qui imposa la diminution du salaire minimum de 22 % (32 % pour les moins de 25 ans) et qui suspendit toute augmentation automatique des salaires prévus par les accords de branche. Malgré ces mesures, il semblerait que les autorités européennes et le FMI considèrent que l'effort grec est encore insuffisant. Dans un récent rapport, la Commission exige d'assouplir davantage la durée hebdomadaire du travail pour permettre aux salariés de travailler six jours par semaine. Il n'est donc pas exclu qu'une huitième réforme vienne balayer ce qui reste de droit social dans ce pays.

 

COMPÉTITIVITÉ CONTRE COOPÉRATION : UN RENVERSEMENT HISTORIQUE

Inutile de poursuivre plus avant la description de ces politiques. Mais constatons que la brutalité avec laquelle celles-ci se sont imposées dans le sud de l'Europe ne peut que susciter, à moyen terme, une action défensive de la part des pays plus au nord. Ainsi, en dehors du cas français, des réformes pour la compétitivité ou la réduction des droits sociaux sont à l'ordre du jour en Belgique, en Allemagne et au Royaume-Uni, pour ne prendre que les cas de nos plus proches voisins. Au nom de la lutte pour l'emploi et pour la croissance, l'ensemble des pays européens est en train de s'engager dans ce que les économistes appellent des « politiques de l'offre », et qu'ils enrobent du doux nom de « compétitivité ».

Mais à bien y réfléchir, ce mot même de compétitivité cache une formidable régression intellectuelle. Recyclage conceptuel du monde de l'entreprise, il renvoie à l'idée de compétition. Or, être compétitif, ce n'est pas être efficace, c'est être meilleur. De l'efficacité à la compétitivité, on passe donc de l'absolu au relatif. Si l'on peut comprendre que pour une entreprise individuelle, la performance implique souvent un gain dans le cadre d'une lutte concurrentielle, du point de vue d'une Nation, l'efficacité nécessiterait plutôt un équilibre, ou à tout le moins l'achèvement d'un collectif organisé de manière harmonieuse.

Car s'il est une leçon à retenir de la crise de 2009, c'est que les économies sont bien davantage interdépendantes qu'elles ne sont concurrentes. Alors que les déboires d'Airbus dans la conception de l'A350 ont assez logiquement bénéficié à Boeing et à ses commandes de 787, la crise des subprimes aux États-Unis n'a en rien bénéficié à l'Europe. Ce qu'un pays perd en croissance économique ne se fait pas au bénéfice d'un autre pays, bien au contraire ! Voilà pourquoi la logique des États, la logique macroéconomique, n'a rien à voir avec la logique des entreprises. Au niveau macroéconomique, la notion de compétitivité relève donc davantage d'un argument fallacieux au service d'intérêts particuliers que d'une analyse économique sérieuse.

Pour illustrer cette idée, qu'il nous soit permis d'évoquer l'histoire récente. Au sortir d'une effroyable guerre mondiale, les « pères fondateurs » de la construction européenne avait bien conscience qu'en matière économique la coopération est bien plus efficace que la compétition. La mise en place de la Communauté européenne du charbon et de l'acier (CECA), puis du Marché commun, avaient pour but de prévenir toute pratique mercantiliste entre les puissances du vieux continent. Au début des années 1970, dans un monde économique devenu plus instable par la fin du système monétaire hérité de Bretton Wood, les Européens prirent soin d'empêcher entre eux toute guerre monétaire en créant des outils pour stabiliser les taux de change de leurs monnaies. La création du marché unique, puis de l'euro, vinrent parachever l'édifice dans lequel la coopération économique aurait dû pouvoir s'installer.

Or, depuis le milieu des années 90, nous assistons à un renversement total de cette logique coopérative. Profitant du fait que les restrictions commerciales et les dévaluations monétaires étaient devenues impossibles, des économies du nord de l'Europe se sont mises à pratiquer une politique de « dévaluation » fiscale et sociale. Le premier pays à s'engager dans cette voie fut l'Irlande, dont la stratégie de développement fut fondée sur une pratique systématique du dumping fiscal, avec un impôt sur le revenu des sociétés de 12,5 %... contre plus de 30 % en moyenne en Europe. De nombreuses firmes multinationales profitèrent de l'aubaine pour faire de l'Irlande leur base productive à partir de laquelle elles pouvaient exporter dans tout le continent, sans droit de douane et sans risque.

Dans les années 2000, d'autres pays s'engagèrent sur des voies comparables. La Suède avait réformé en profondeur son modèle social dès la fin des années 90. En Allemagne, les lois « Hartz », mises en place entre 2003 et 2005 (il y en eut quatre), ont contribué à comprimer les salaires allemands qui ont significativement décroché par rapport à ceux du reste des pays européens. Ainsi, entre 1995 et 2012, alors que la productivité du travail en Allemagne a évolué au même rythme que dans le reste de l'Europe, l'écart relatif entre les salaires allemands et ceux du reste de l'Europe s'est creusé de plus de dix points. Cette politique, que l'on peut qualifier de « dévaluation salariale », a permis à l'Allemagne d'engranger des excédents commerciaux records... au détriment de ses partenaires européens, en particulier de la France.

Comparaison salaire Allemagne - Europe


LES SALARI
ÉS, CHAIR A CANON DE LA POLITIQUE EUROPÉENNE
Comme le rappelle l'Organisation internationale du travail2, la stratégie allemande ne fut pas simplement néfaste pour les salariés allemands. En renforçant les exportations allemandes, elle fut également l'une des causes des gigantesques déséquilibres commerciaux qui firent le lit de la crise européenne. Or, l'explosion de la crise a paradoxalement précipité la généralisation de ces politiques, et cela avec l'aide active de la Commission européenne et de la BCE.

Pourtant, à aucun moment, les responsables européens qui mettent aujourd'hui en œuvre des politiques de compétitivité en totale contradiction avec la logique coopérative qu'ils promouvaient jadis ne s'interrogent sur le sens économique de ces mesures. Car si pour une petite économie individuelle une telle politique peut éventuellement fonctionner en permettant à ce pays de gagner des parts de marché sur ces concurrents, à l'échelle du continent en entier personne ne peut croire qu'il soit possible de généraliser les excédents commerciaux intra-européens. Tout ce que l'Espagne pourra gagner avec la relance de ses exportations sera nécessairement pris sur ses partenaires commerciaux, dont l'immense majorité se situe en Europe. La logique qui nous est proposée est donc proprement suicidaire : elle consiste à appauvrir systématiquement les salariés européens pour que chaque pays tente de récupérer une part plus importante d'un gâteau dont la taille ne cesse de se réduire.

Car c'est bien là le drame de la situation actuelle : poussée jusqu'à l'absurde, la logique de la compétitivité n'aboutit qu'à la disparition de la prospérité générale, sans créer le moindre emploi supplémentaire, et participe à l'effondrement de la demande des ménages et à l'intensification de la concurrence. L'Europe est en train de réinventer le mercantilisme le plus obtus ; celui qui confond la logique marchande avec la logique économique, et la balance commerciale avec la prospérité. Aveuglé par l'idéologie, elle conduit une guerre commerciale contre elle-même.

Nous sommes en 1914 et nous envoyons nos salariés dans une boucherie absurde, à la conquête de victoires qui n'existent pas.

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1 D'après l'INSEE, la part de l’excédent brut d'exploitation des sociétés non financières dans la valeur ajouté est passée de 31,7 % en 2007 à 28,6 % en 2011.

2 « La compétitivité croissante des exportateurs allemands a de plus en plus été considérée comme la cause structurelle des récentes difficultés que connaît la zone euro. Comme les coûts unitaires de main-d’œuvre en Allemagne ont baissé par rapport à ceux des concurrents durant la décennie écoulée, il en est résulté des pressions sur la croissance dans ces économies, avec des conséquences néfastes pour la viabilité des finances publiques. », Tendances mondiales de l'emploi 2012, OIT.

1 novembre 2012

L'impuissante médecine de la crise

En Europe, aux États-Unis, dans les organismes internationaux, la stratégie de sortie de crise s'apparente à celle du médecin. Elle part du principe que l'économie mondiale fut victime d'un mauvais virus, contagieux et virulent, et qu'il conviendrait de l'en guérir. Avec des soins adaptés, le système devrait ainsi se « rétablir » et retrouver son fonctionnement normal d'avant crise.

Au début, il fallait éviter que le cœur ne lâche. Le cœur, c'est tout ce qui irrigue l'économie en argent et en investissements. On peut dire que le système financier fonctionne un peu comme une pompe ; sa fonction est de collecter l'épargne et de distribuer les moyens de financement aux entreprises et aux États, ces derniers produisant les richesses et créant l'emploi. Le cœur alimente les organes qui créent l'activité. Pour préciser l'analogie, mettons que le système financier est le cœur, que les entreprises et les ménages sont le corps et que l’État est le cerveau.

En 2008-2009, il fallait donc sauver le cœur pour sauver le malade. Il fallait gérer la faillite de Lehman Brother, nationaliser certaines banques, prêter des fonds publics à celles qui, sans avoir nécessairement commis d'imprudences, se retrouvaient victimes de l'effondrement du système financier. Il fallait également rétablir la pompe pour que le corps ne s'affaiblisse pas trop. Ce furent les plans de relance, les aides à l'industrie automobile. Tout cela coûta très cher au cerveau, aux États. Mais, fin 2009, les banques renouaient avec les profits et remboursaient leurs aides, le cœur était sauvé, le malade convalescent.

Le cœur était sauvé, mais le malade n'était pas guéri. Car dans leur précipitation, les médecins avaient oublié que le cœur irriguait également le cerveau. l’État, les administrations, tout ce qui concourt à financer l'action publique s'appuie sur les marchés financiers. Et les marchés s'inquiétaient. La Grèce allait-elle rembourser ? L'Italie pouvait-elle faire faillite ? Face à cette inquiétude, le cœur se remit à pomper. Mais dans le sens inverse, en exigent pour le prix de son fonctionnement des taux d'intérêt délirants. Le flux d'argent devait maintenant aller du cerveau vers le cœur. La Grèce, l'Irlande, le Portugal, furent contraints de se plier aux exigences du système financier. Et le cœur vainquit. Tout serait mis en œuvre pour que ces pays remboursent. On exigea des plans d'équilibre drastiques et on permit aux autres États de venir au secours des cerveaux asphyxiés. La solidarité européenne fut mise au service des banques créancières.

Il fallait que l'argent continue d'affluer vers cœur. Mais il fallait aussi que le cerveau continue de fonctionner. On demanda donc au corps du malade de nourrir le cerveau afin que le cerveau puisse nourrir le cœur. On demanda aux ménages et aux entreprises, en Grèce, en Espagne, en France, dans tous les pays européens, de payer plus d'impôts, de recevoir moins de services publics, en somme de pomper à la place du cœur. Pomper dans l'autre sens. Du corps vers le cerveau, du cerveau vers le cœur.

Mais le corps, encore fragile, ne pouvait pas pomper. Pas suffisamment. Plus il pompait, plus il s'affaiblissait. Et le cerveau s'affaiblissait également. Et le cœur ne recevait pas son dû. Et tant qu'il ne recevait pas son argent, le cœur refusait de pomper. Il n'irriguerait plus aucun organe. L'un des médecins en chef se pencha alors sur le malade. C'était la BCE, un cardiologue. Il pensa que le problème venait des palpitations et de l'agitation du cœur. Il fallait le calmer, le rassurer. Il exigea que le cerveau remboursât le cœur, que corps intensifie ses efforts pour nourrir le cerveau, et qu'en attendant, il calmerait les angoisses du cœur en lui fournissant tout le sang artificiel qu'il exigerait. Ainsi, le médecin espérait rassasier le cœur.

Mais l’appétit du cœur est sans limite et les médecins doivent comprendre qu'ils se sont trompés de diagnostique. L'origine de la crise n'est pas le fait d'un virus étranger, extérieur au malade. La crise c'est le cœur lui-même, sa voracité qui tue les organes qu'il est sensé soutenir. Ce qui arrive aujourd'hui au cerveau ressemble à ce qui s'est produit hier pour le corps entier. Les taux d'intérêt exorbitants réclamés par les banques à certains États ne sont qu'une illustration des taux d'intérêt que réclamaient jadis les banques aux ménages et aux entreprises, avant qu'ils ne soient saignés à blancs par la rapacité financière. Le monde de 2006, d'avant la maladie, était un monde de violence et de racket, dans lequel la finance internationale pompait non pas pour financer la croissance et l'emploi, mais pour nourrir son propre appétit.

Ce cœur là est un cancer. Il n'irrigue pas, il prélève. Il n'est pas malade il est la maladie. Il ne suffit pas de le réguler, de lui interdire certaines pratiques. Il ne sert à rien de lui apprendre la morale et de le sermonner gentiment. Il faut le remplacer, le reconstruire. Il ne faut pas simplement rétablir le malade, il faut le transformer en profondeur. Il faut changer la logique économique qui gouvernait le monde et qui nous a conduit à la catastrophe.

Face à cette crise, il ne nous faut pas des médecins qui soignent, mais des architectes et des ingénieurs qui construisent.

12 juin 2012

La crise espagnole en sept étapes

1- Les banques espagnoles sont en difficulté à cause des montagnes de créances douteuses garanties par trois millions de logements vides et sans valeur, héritage de la bulle immobilière des années 2000 sur laquelle personne n'avait crû bon de s'inquiéter pendant des années. (L'économie espagnole c'est super, regardez comme sa dette publique est faible. Ha ha ha, quel grand comique ce Barroso!)

2- Comprenant les difficultés de leurs banques (notamment après le sauvetage in extremis de Bankia le 25 mai dernier) les épargnants espagnols craignent logiquement pour leurs dépôts: ils transfèrent donc leur épargne dans des banques suisses et luxembourgeoises, lesquelles placent cette épargne en titres sûrs, par exemple en achetant des obligations publiques allemandes ou françaises. D'où la baisse inattendue des taux d'intérêt des OAT françaises depuis l'élection de François Hollande. (C'est magnifique la libre circulation des capitaux!)

3- En raison de la fuite des capitaux espagnols, les banques espagnoles passent de la difficulté à la crise de liquidité et de solvabilité (les deux notions ne sont pas tout à fait les mêmes mais la première conduit généralement assez vite à la seconde). Elles ne peuvent plus financer l'économie réelle. Du coup la croissance espagnole déjà pas bien brillante (25% de chômage, 50% chez les jeunes) menace de s'effondrer si on ne trouve pas très vite 40 milliards d'euros (et à terme 100 milliards).

4- L'État espagnol (qui ne peut plus se financer sur les marchés car il paie déjà plus de 6% d'intérêt annuel pour toute nouvelle émission de dette) appel à l'aide ses partenaires européens.

5- Ca tombe bien, ces mêmes européens ont reçu plein de nouvelles sources de financement via les banques suisses ou luxembourgeoises (rappelons-le: cette manne est elle-même issue des épargnants espagnols effrayés par l'état de leur système bancaire... et de quelques grecs aussi, mais ça c'est une autre histoire). Les dits partenaires européens n'ont donc aucune difficulté à promettre 100 milliards d'euros pour financer l’État espagnol.

6- ... État espagnol qui peut à présent sauver ses banques privées. (Sans les nationaliser, faut pas déconner!) Bien sûr, ce sauvetage ne permettra pas aux banques de relancer vraiment l'activité économique. Il est prévu de n'aider que celles qui sont les plus en difficulté. Cet argent public (que devra rembourser le contribuable espagnol aux contribuables allemands et français notamment), permettra juste d'éviter la faillite et de combler les trous laissés par la fuite des capitaux.

7- Si par hasard une banque espagnole décide quand même de prêter à un agent économique espagnol (tiens, après tout, ça serait peut-être bon pour la croissance, non?) on peut être sûr qu'une partie de l'argent ainsi réinjecté repartira illico dans les banques suisses ou luxembourgeoises. Surtout que cela fait maintenant quelque temps que plus personne ne croit qu'un plan de sauvetage européen a la moindre chance de succès.

C'est ainsi qu'un nouveau cycle de l'argent va pouvoir commencer. De l'Espagne, vers la Suisse, puis vers l'Allemagne et la France, et de retour à l'Espagne. Le tout avec plein de nouvelles dettes créées dans tous les sens. C'est beau, non ? Merci beaucoup à nos dirigeants pour ce nouveau plan foireux!

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