L’échec d’une campagne sociale-libérale
Si sa campagne fut brouillonne et souvent immature dans son organisation, la
candidate socialiste fut néanmoins très claire dans ses discours et dans ses
choix politiques. Entre l’investiture de novembre et les élections du printemps,
la ligne de Ségolène Royal consista à reprendre les thèmes, les idées et les
valeurs des conservateurs et des libéraux.
En matière économique, le
discours de Royal n’a eu de cesse de nier la conflictualité des rapports
sociaux. Alors que la gauche a toujours mis au cœur de son projet la question de
la répartition des richesses, la candidate socialiste n’a pratiquement parlé que
de « dialogue social », de « réconciliation des français avec l’entreprise », de
politique « gagnant-gagnant », comme s’il n’existait pas de divergence
d’intérêts dans la société française, et comme si l’on pouvait réconcilier une
haute rémunération du travail avec une haute rémunération du capital. Cette
vision s’est traduite par des mesures qui allaient toutes dans le sens d’une
aide accrue aux entreprises, à travers la baisse des impôts sur les sociétés (au
lieu de leur « modulation », voir les Échos du 15 mars), la flexibilisation du
marché du travail (Contrat Première Chance, modèle de flex-sécurité danois) et
la condamnation du syndicalisme revendicatif au bénéfice du syndicalisme de
cogestion (l’Hebdo des socialistes n°443).
Cette approche très
sociale-chrétienne (et surtout très naïve) de l’économie fut complétée par une
approche purement libérale, qui mit constamment l’accent sur les responsabilités
individuelles au détriment de l’analyse sociale. Ainsi, la réponse de Ségolène
Royal à l’affaire du « golden parachute » de Noël Forgeard fut bien davantage
moralisatrice que structurelle, préférant dénoncer les « patrons-voyous » et
demander la démission de Thierry Breton, que d’instaurer une nouvelle
législation sur les stock-options. De manière générale, les discours de Royal
s’en prirent de manière systématique au phantasme de « l’assistanat » (les
chômeurs et les RMistes, pas les rentiers du CAC 40 !) en promettant qu’aucun
droit nouveau ne serait créé sans devoir. L’allocation-autonomie pour les
étudiants, tirée du projet socialiste, est ainsi devenue la contrepartie d’une «
activité d’intérêt général », c'est-à-dire d’un travail. Plus grave, Ségolène
Royal prévoyait de renforcer le contrôle des chômeurs, considérés comme
individuellement responsables de leur situation (l’hebdo des socialistes n°443).
Enfin, en matière de sécurité, les propositions de Royal étaient le pur produit
du logiciel sarkozien : compassion en faveur des victimes, politique de sanction
qui oubliait systématiquement les fondements sociaux de la
délinquance.
Sur la réduction du temps de travail, le discours de la
candidate fut là aussi constant et singulièrement droitier. Après avoir critiqué
les conditions d’application de la loi sur les 35h lors de la campagne
d’investiture, Ségolène Royal a ensuite abandonné toute idée de remise en cause
législative des réformes Fillon. Loin de se sentir engagée par le projet
socialiste, elle a renvoyé la question de la baisse du temps de travail à des
négociations par branches professionnelles, précisant même, lors du débat de
l’entre-deux tour, qu’en cas de désaccord avec les organisations patronales, il
n’y aurait « pas de loi ». Trois jours plus tard, soit l’avant-veille du second
tour, elle admettait, dans une interview au Parisien, qu’il n’y avait plus de
différence entre sa position et celle de Sarkozy sur cette
question.
Enfin, la candidate a largement anticipé la politique de «
l’alliance au centre » qu’elle mena entre les deux tours avec le succès que l’on
sait. Lorsque Michel Rocard et Bernard Kouchner proposent, avant le premier
tour, de faire alliance avec le parti de François Bayrou, Royal s’est contentée
de critiquer les conditions de cet appel. Elle s’est bien gardée de sanctionner
Bernard Kouchner, pourtant membre de son équipe de campagne ou de s’engager
clairement contre cette alliance. Au contraire, elle admettait dans une
interview au JDD, une semaine avant le premier tour, que son gouvernement serait
« représentatif de la diversité de la majorité » qui se sera rassemblé autour
d’elle entre les deux tours, faisant implicitement référence aux électeurs
centristes. Elle confirmera cette position après le 22 avril, appelant à la
participation de ministres UDF à son gouvernement et se laissant la possibilité
de prendre François Bayrou comme Premier ministre (interview sur Canal Plus du
29 avril).
Au-delà des critiques personnelles et tactiques que l’on peut
adresser à la candidate socialiste, l’échec de cette campagne c’est aussi, et
surtout, l’échec de la première campagne clairement sociale-libérale menée par
le Parti Socialiste. Nous n’avons plus qu’à espérer que cette expérience ne se
renouvelle pas.