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Vue de gauche
4 décembre 2008

John Maynard Keynes

Ils ne sont pas nombreux les économistes à avoir donné leur nom à une théorie. Dans l’histoire de la pensée économique, on en trouve deux : Marx, fondateur du marxisme, doctrine qui va de la philosophie de l’histoire jusqu’à la politique, en passant par l’économie, et Keynes qui a été l’inspirateur principal du courant keynésien, véritable révolution dans la pensée économique du milieu des années 30 jusqu’à aujourd’hui. Si les deux auteurs sont considérés comme « de gauche », on oublie cependant que leurs objectifs étaient largement contradictoires. Alors que l’œuvre de Marx, écrite au moment du capitalisme triomphant, visait à abattre le système capitaliste et politique, Keynes essayait désespérément de sauver la démocratie libérale des tentations bolchéviques et fascistes.

Désespéré, le mot n’est pas trop fort lorsqu’il s’agit de décrire l’état du Royaume-Uni à l’époque. La crise des années 30 vient frapper de plein fouet une économie profondément malade depuis la fin de la première guerre mondiale, au chômage structurel important, à la désindustrialisation massive, au manque d’investissement chronique. En guise de réponse, les responsables politiques britanniques ne proposent rien d’autre qu’une violente austérité budgétaire et le retour à la convertibilité or de la livre, aux conséquences déflationnistes. L’objectif avoué est de maintenir « les grands équilibres » auxquels l’ensemble des économistes adhère, persuadés que c’est la seule manière de garantir le retour d’une croissance « à long terme ». Mais comme le dit Keynes, « à long terme nous sommes tous morts ». Autrement dit, la science économique n’est pas une discipline qui peut être appréhendée par la pureté abstraite de la théorie, mais c’est d’abord une pratique, et elle doit avoir des résultats concrets et rapides sur la vie des gens, en particulier sur le chômage, principale source de révolte populaire et de déstabilisation des démocraties.

Autre point d’accord entre Marx et Keynes. Les deux conçoivent l’économie comme un moyen politique, et non comme une fin en soit. Marx est très clair à ce sujet. S’il s’intéresse à l’économie, c’est uniquement en tant qu’outil doctrinal au service du prolétariat. De même, pour Keynes, la science économique n’a de sens que si elle est capable de résoudre les questions auxquelles sont confrontés les gouvernements. Keynes n’était pas un économiste de « bureau ». C’était un homme engagé et passionné, qui passait autant de temps et d’énergie à essayer de convaincre les responsables politiques qu’à publier dans des revues scientifiques. Après avoir vivement attaqué les conditions léonines imposées à l’Allemagne dans le traité de Versailles et la politique d’austérité conduite par Churchill dans les années 20, il épuisera sa santé dans la refondation du système monétaire international qui conduira aux accords de Bretton Woods. S’il est l’un des principaux architectes du système qui permit les « trente glorieuses », il ne parvient pas, cependant, à y faire passer toutes ses idées, en particulier celles qui concernaient la monnaie et la régulation du commerce mondial et qui déplaisaient tant aux américains.

Keynes aura été un économiste iconoclaste et inclassable pour son temps. Bourgeois, fils d’un universitaire réputé, membre du parti libéral (que l’on pourrait rapprocher du Modem), toute son action vise à préserver le système capitaliste du totalitarisme et de la guerre, en le corrigeant de ses principales aberrations. Mathématicien de formation, son œuvre majeur (la Théorie Générale, publiée en 1936) ne comporte aucune équation et aucun graphique, et donnera lieu à des interprétations contradictoires. Ce qui est sûr, c’est que Keynes ne croit pas en l’autorégulation des marchés et encore moins en l’efficacité des marché financiers. D’ailleurs, c’était un spéculateur de génie qui savait parfaitement profiter des dysfonctionnements de la bourse pour faire fortune. Comme praticien et théoricien, il avait compris comment la logique moutonnière des traders les amène, via des calculs individuels rationnels, à se comporter collectivement comme des idiots.

Finalement, la théorie keynésienne fut beaucoup plus radicale dans la critique de la science économique. Rétrospectivement, Marx fut un théoricien très conservateur qui adhère aux grandes hypothèses de son temps. Il n’invente ni le concept de classes sociales (qui vient de Smith), ni la baisse tendancielle du taux de profit (qu’il reprend de Ricardo), ni la théorie de la valeur-travail, ni même la théorie des salaires. Plus grave, Marx n’a jamais critiqué l’efficacité du marché et a toujours défendu le libre-échange. La théorie marxiste apparaît donc pour ce qu’elle est : un pur discours de critique interne dont l’objectif est avant tout d’attaquer idéologiquement la pensée dominante de son époque. A l’inverse, Keynes, qui cherche à résoudre des problèmes concrets, est amené à remettre en cause les fondements de la pensée économique de son temps.

Face à la crise, la doctrine du maintien des « grands équilibres » et le dogme de l’efficacité des marchés ne valent rien. La contestation théorique interne de la théorie est elle-même souvent vaine, en même temps qu’elle est conservatrice. Seules les solutions concrètes et le pouvoir de conviction comptent pour transformer le monde. C’est la principale leçon du « keynésianisme ». Elle était vraie à l’époque, elle l’est toujours aujourd’hui.

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