Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Vue de gauche
20 mai 2001

Lettre à un professeur de macroéconomie de l'université Paris 1

Tout d’abord je voulais vous remercier d’avoir pris le temps de discuter avec Yamina et moi l’autre jour.

En second lieu je voulais vous faire part de mes sentiments sur le cours que vous nous avez proposé cette année. De manière générale, j’ai l’impression qu’il y a eu une large incompréhension entre les étudiants et vous. D’un côté les étudiants (notamment ceux qui ont suivit le cursus de Paris 1) donnaient l’impression de guetter chez vous le moindre dérapage formel ou idéologique.

De votre côté, je vous ai trouvé un peu en porte-à-faux en essayant maladroitement de nous « épargner » toute formule mathématique. J’ai aussi eu l’impression que vous pensiez faire cours à une assemblée de gauchiste, et que vous avez passé beaucoup de temps à vous excuser pour le libéralisme de Becker et à mettre en valeur (de manière assez artificielle) le rôle régulateur de l’Etat dans les théories de la croissance endogène.

Pour tout dire, j’ai préféré la rigueur de la présentation que vous nous avez proposé aux midis philosophiques à Ulm.

Les réactions des étudiants de Paris 1 après votre premier cours ont été, pour moi et pour la plupart de ceux qui viennent de l’extérieur, un peu incompréhensibles. Nous ne pensions pas que ce cours était excessivement formalisé. Il ne l’était d’ailleurs pas. Ce qui a choqué,  on a fini par le comprendre, c’était la peur de « subir » un cours de modélisation formelle comme ils en avaient eu dans les années antérieures. Ce traumatisme est propre à Paris 1, et il reflète, à mon avis, le vrai problème auquel la réforme des maquettes doit répondre.

J’ai l’impression que la formalisation cristallise une profonde fracture entre les étudiants qui sortent de la maîtrise de Paris 1. Cette fracture expliquerait peut-être en partie la logique d’affrontement que l’on retrouve au sein du conseil d’UFR.  J’ai déjà été élu en conseil et je connais de nombreux élus dans de nombreuses facs. Mais je n’ai jamais entendu parler d’un conseil d’UFR où les possibilités de dialogue soient si restreintes. On croirait être à l’Assemblée Nationale. Les interventions relèvent plus de la rhétorique que d’une recherche de sens. Quant aux décisions, elles ne sont pas prises avec le soucis de l’intérêt commun mais dans une stratégie de rapport de force.

Cette opposition est d’autant plus absurde qu’elle nuit aux étudiants. Ils ont l’impression d’être contraints de choisir entre un enseignement « de gauche », (HPE, épistémologie...) et un enseignement « de droite » (micro et macro néoclassique...) Cette séparation est scientifiquement ridicule. Je ne commente même pas les qualificatifs politiques.

J’ai fait une bonne partie de bon cursus à Grenoble. Là-bas, je n’ai jamais eu de cours « séparé » de microéconomie. En fait, j’ai remarqué que mon enseignement microéconomique s’est étalé dans une multitude de cours plus généraux. Ce qui fait qu’en maîtrise je connaissais tous les outils de cette discipline sans vraiment m’en rendre compte. Disons, pour poursuivre l’analogie qui a été développée à la réunion de la semaine dernière, que j’ai appris ce qu’était un tournevis en vissant, ce qu’était un marteau en plantant des clous et ce qu’était une pelle en creusant. Pour la macro, les choses ont été un peu différentes puisque j’ai eu un cours spécifique de macroéconomie dispensé par Taouil.

J’ai appris la plupart des concepts économiques à travers l’histoire de la pensée, le commerce international, les cours de monnaie, de politiques économiques et  les cours sur la firme. La particularité de cet enseignement ne m’a pas empêché de faire une excellente quatrième année à Clermont-Ferrand. Et je ne suis pas devenu allergique à la formalisation.

Ici, il n’est pas question de défendre la maquette de Grenoble. Pour tout dire, celle de Jallais semble un assez bon compromis entre ce qu’on fait à Grenoble et à Paris 1.

Mais peut-être pensez-vous que l’enseignement de Paris 1 n’est pas aussi mauvais que certains voudraient bien le faire croire? Comme je ne me sens pas qualifié pour répondre à cette question je suis allé interroger un étudiant du DEA de macroéconomie. Il m’a demandé de vous faire parvenir ses remarques car il considère que son opinion est un « sentiment partagé » par ses camarades. Voici ce qu’il tient à vous faire savoir :

« N’importe quel mathématicien, n’importe quel ingénieur pourrait réussir le DEA de macroéconomie de Paris I sans avoir la moindre connaissance économique. Mais ça n’en fait pas un économiste. Pour preuve, quelques-uns de mes collègues issus de filières économétriques qui ont voulu suivre le cours de Cotis et Quinet en macroéconomie appliquée ont rapidement jeté l’éponge parce qu’ils n’y comprenaient rien. »

« Je tiens à apporter une nuance : pour le moment, et jusqu’à preuve du contraire, je pense que les portes des études doctorales et de la recherche économique ne seront ouverts par les responsables du DEA qu’à ceux pour lesquels ils reconnaîtront une compétence économique. »

« Je ne suis pas capable de juger du fond de mes études par manque de recul. Un élément m’inquiète : c’est que de façon générale mes cours suscitent peu de questionnements. Cela ne me paraît pas bon signe. J’attribue ça au caractère infalsifiable des assertions mathématiques. Certains d’entre nous auraient aimé disposer du temps nécessaire pour suivre des cours d’épistémologie. »

« J’ai le sentiment que Jean-Olivier Hairault est capable d’utiliser l’outil des RBC mais je ne suis pas convaincu qu’il en ait compris les fondements. »

« C’est bien le maximum si deux étudiants croient aux modèles RBC »

Quelques remarques plus spécifiques au DEA.

« L’élément dramatique c’est l’absence de contact avec les enseignants du DEA.  Cela ne favorise pas l’échange ou l’enrichissement de nos réflexions.»

« Cahuc nous méprise et dispense trop peu d’informations concernant les opportunités de financement de thèse à la différence de Zagmé. »

Je vous prie d’excuser le style « télégraphique » de ce courrier et vous remercie pour l’attention que vous y avez porté. Veuillez croire à mes meilleurs sentiments.

Publicité
Commentaires
Vue de gauche
Publicité
Derniers commentaires
Archives
Publicité