L’arnaque des baisses de prix
A chaque période difficile, supermarchés
et gouvernement s’allient pour nous présenter les baisses de prix comme une
immense victoire sociale. Les baisses de prix ? Tout le monde est pour ! Ne
profitent-elles pas à tous de la même façon ? C’est que le consommateur, choyé,
protégé par les médias, les industriels et le pouvoir politique est un être
universel. Consommer est un acte de civisme, une solution à la crise. Le
consommateur décide, arbitre, c’est une colonne indispensable à l’édifice
économique. Ses choix sont à la base des modes et des évolutions technologiques
; le satisfaire permet croissance et progrès. Ainsi la baisse des prix devient
presque une obligation morale, une évidence sociale, un acte politique de
première importance.
Une victoire sociale qui profite à tous ? Voilà une
bien étrange victoire qui se ferait sans perdant. Mais qui paie donc le prix des
baisses de prix ? Dans l’imagerie populaire, il y aurait des industriels et des
marchands qui exploiteraient sans vergogne les petits consommateurs français.
Baisser les prix permettrait donc de diminuer cette exploitation et de limiter
les profits excessifs de ces gens-là. Ce raisonnement séduisant ne correspond
cependant pas du tout à la réalité. Pour un industriel, c’est le coût et non le
profit qui est la variable d’ajustement privilégiée. Baisser les prix c’est donc
diminuer les coûts. Et lorsque c’est le ministère des finances qui le demande,
la baisse des prix signifie souvent, en contrepartie, davantage de cadeaux
fiscaux pour les entreprises, de souplesse dans la législation ou dans le code
du travail.
Les supermarchés ne s’y sont pas trompés. Pour gagner en
pouvoir d’achat et pour baisser les prix, il faudrait selon eux modifier la loi
Galland qui interdit la vente à perte. Sauf que le véritable enjeu de cette loi
n’est pas le bien-être du consommateur, mais l’équilibre du rapport de force
entre producteurs et distributeurs. Supprimer la loi Galland permettrait aux
grandes surfaces de faire peser encore plus de pression sur les petits
producteurs, notamment les agriculteurs, en achetant leurs produits en dessous
de leurs coûts de revient.
Ainsi ces baisses de prix devraient-elles se
payer par des économies dans le processus de production, par une précarisation
accrue du travail, voire par la faillite d’exploitations agricoles ou la
délocalisation d’entreprises industrielles.
Dire que les baisses de prix
sont une victoire sociale, c’est en fait oublier que les salariés ne sont pas de
simples consommateurs. Ce sont aussi des producteurs. Pour eux, diminuer les
coûts se traduit souvent par une marche forcée à la productivité, par une remise
en cause de leurs droits et par la dégradation de leurs conditions de travail.
De même pour les grandes surfaces, baisser les prix signifie ouvrir dimanches et
jours fériés, réduire les coûts salariaux, bloquer les carrières des caissières
au niveau « précarisation » de l’ascenseur social.
Pour quel profit en
définitive ? Qui gagne ? Qui perd ? Une brève comparaison des gains du
consommateur et des pertes du salarié montre assez clairement que le compte n’y
est pas. Si tous les salariés sont des consommateurs (et donc profitent en
partie d’une baisse de prix), tous les consommateurs ne sont pas des salariés et
ne participent pas également aux coûts de ces baisses. Ceux pour qui les revenus
principaux sont tirés du travail gagnent un peu, mais perdent beaucoup dans le
cadre de leur entreprise ; en revanche ceux qui tirent leurs revenus d’un
patrimoine financier et qui ne participent pas à l’effort productif gagnent un
peu et ne perdent rien du tout.
La baisse des prix n’est donc pas une
mesure sociale. Elle profite essentiellement aux consommateurs qui ont un plan
d’épargne action, et nuit essentiellement à tous ceux qui n’ont que leurs
salaires pour vivre. L’habileté du gouvernement c’est qu’au lieu d’opposer
capital et travail, c'est-à-dire les classes sociales telles qu’elles existent,
il préfère opposer consommateurs et producteurs, ouvrier et ménagère de moins de
cinquante ans, alors même qu’il s’agit bien souvent des mêmes
personnes.
En somme, c’est au travail et non dans les magasins que se
joue la véritable exploitation. Notre société de consommation est avant tout une
société de production. Aussi c’est d’abord dans les conditions de travail et les
salaires que doivent se gagner les véritables victoires sociales.
Pour Parti Pris