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7 novembre 2004

L’arnaque des baisses de prix

A chaque période difficile, supermarchés et gouvernement s’allient pour nous présenter les baisses de prix comme une immense victoire sociale. Les baisses de prix ? Tout le monde est pour ! Ne profitent-elles pas à tous de la même façon ? C’est que le consommateur, choyé, protégé par les médias, les industriels et le pouvoir politique est un être universel. Consommer est un acte de civisme, une solution à la crise. Le consommateur décide, arbitre, c’est une colonne indispensable à l’édifice économique. Ses choix sont à la base des modes et des évolutions technologiques ; le satisfaire permet croissance et progrès. Ainsi la baisse des prix devient presque une obligation morale, une évidence sociale, un acte politique de première importance.

Une victoire sociale qui profite à tous ? Voilà une bien étrange victoire qui se ferait sans perdant. Mais qui paie donc le prix des baisses de prix ? Dans l’imagerie populaire, il y aurait des industriels et des marchands qui exploiteraient sans vergogne les petits consommateurs français. Baisser les prix permettrait donc de diminuer cette exploitation et de limiter les profits excessifs de ces gens-là. Ce raisonnement séduisant ne correspond cependant pas du tout à la réalité. Pour un industriel, c’est le coût et non le profit qui est la variable d’ajustement privilégiée. Baisser les prix c’est donc diminuer les coûts. Et lorsque c’est le ministère des finances qui le demande, la baisse des prix signifie souvent, en contrepartie, davantage de cadeaux fiscaux pour les entreprises, de souplesse dans la législation ou dans le code du travail.

Les supermarchés ne s’y sont pas trompés. Pour gagner en pouvoir d’achat et pour baisser les prix, il faudrait selon eux modifier la loi Galland qui interdit la vente à perte. Sauf que le véritable enjeu de cette loi n’est pas le bien-être du consommateur, mais l’équilibre du rapport de force entre producteurs et distributeurs. Supprimer la loi Galland permettrait aux grandes surfaces de faire peser encore plus de pression sur les petits producteurs, notamment les agriculteurs, en achetant leurs produits en dessous de leurs coûts de revient.

Ainsi ces baisses de prix devraient-elles se payer par des économies dans le processus de production, par une précarisation accrue du travail, voire par la faillite d’exploitations agricoles ou la délocalisation d’entreprises industrielles.

Dire que les baisses de prix sont une victoire sociale, c’est en fait oublier que les salariés ne sont pas de simples consommateurs. Ce sont aussi des producteurs. Pour eux, diminuer les coûts se traduit souvent par une marche forcée à la productivité, par une remise en cause de leurs droits et par la dégradation de leurs conditions de travail. De même pour les grandes surfaces, baisser les prix signifie ouvrir dimanches et jours fériés, réduire les coûts salariaux, bloquer les carrières des caissières au niveau « précarisation » de l’ascenseur social.

Pour quel profit en définitive ? Qui gagne ? Qui perd ? Une brève comparaison des gains du consommateur et des pertes du salarié montre assez clairement que le compte n’y est pas. Si tous les salariés sont des consommateurs (et donc profitent en partie d’une baisse de prix), tous les consommateurs ne sont pas des salariés et ne participent pas également aux coûts de ces baisses. Ceux pour qui les revenus principaux sont tirés du travail gagnent un peu, mais perdent beaucoup dans le cadre de leur entreprise ; en revanche ceux qui tirent leurs revenus d’un patrimoine financier et qui ne participent pas à l’effort productif gagnent un peu et ne perdent rien du tout.

La baisse des prix n’est donc pas une mesure sociale. Elle profite essentiellement aux consommateurs qui ont un plan d’épargne action, et nuit essentiellement à tous ceux qui n’ont que leurs salaires pour vivre. L’habileté du gouvernement c’est qu’au lieu d’opposer capital et travail, c'est-à-dire les classes sociales telles qu’elles existent, il préfère opposer consommateurs et producteurs, ouvrier et ménagère de moins de cinquante ans, alors même qu’il s’agit bien souvent des mêmes personnes.

En somme, c’est au travail et non dans les magasins que se joue la véritable exploitation. Notre société de consommation est avant tout une société de production. Aussi c’est d’abord dans les conditions de travail et les salaires que doivent se gagner les véritables victoires sociales.

Pour Parti Pris

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