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1 mars 2004

L'Europe exclue de la croissance

Pendant qu'une reprise fragile s'amorce aux Etats-Unis et en Asie, l'Europe, empêtrée dans son fonctionnement libéral, est incapable d'en tirer profit.

«Les chiffres sont là. La reprise est amorcée aux Etats-Unis : 8,2 % en rythme annuel à la fin de l'année, un taux comparable à celui de la Chine ! Elle finira bien par franchir l'Atlantique et régler les problèmes ; diminuer le chômage, le déficit budgétaire, et pourquoi pas, permettre en prime de nouvelles baisses d'impôts.»

Tel est l'espoir auquel s'accroche le gouvernement. Pourtant, à trop attendre de l'extérieur ce qu'il ne parvient pas à faire lui-même, la déception risque d'être au rendez-vous. Car en fait de «reprise», rien ne garantit que la politique de Bush permettra une croissance durable et que celle-ci bénéficiera à l'économie européenne. Rendons-lui au moins ce mérite : le président américain ne s'est pas contenté de lever les yeux au ciel et de prier ; il a su stimuler l'économie par une politique volontariste. Le budget fédéral est ainsi passé d'un excédent de 2% en 2000 à un déficit de plus de 5% prévu en 2004, soit un apport d'environ 700 milliards de dollars à l'économie locale. Parallèlement, la banque centrale américaine a contribué à la croissance en baissant massivement ses taux d'intérêt ce qui a accentué la demande de crédit de la part des ménages et des entreprises.

Pour autant, la croissance américaine n'est pas assurée pour les mois et les années à venir. Si le boom économique des années 90 était tiré par des innovations techniques et par l'augmentation considérable de la productivité, on ne voit pas bien ce qui peut relayer l'embellie actuelle. La politique économique américaine injecte des liquidités mais n'investit ni dans l'éducation ni dans les infrastructures publiques ; le déficit budgétaire, dû à des baisses d'impôts, ne profite qu'aux riches, et les investissements se concentrent sur des dépenses militaires, souvent stériles. Enfin, toutes ces mesures, en particulier la suppression des droits de succession, bloquent la mobilité sociale et accentuent les inégalités.

Mais c'est surtout sur le plan financier que la croissance américaine est la plus fragile. Le niveau de vie américain ne se maintient que grâce à un financement du reste du monde équivalent à 1,4 milliards de dollars par jour. Résultat, la dette extérieure explose. Elle a doublé depuis 1998, et représente aujourd'hui 40 % du PIB : un record pour un pays industrialisé. Cette situation rappelle celle des années 80, période pendant laquelle les «déficits jumeaux» commercial et budgétaire, réclamaient un financement extérieur considérable. A l'époque, l'économie américaine avait plutôt bien résisté à ces déséquilibres. Un déficit n'est pas un mal en soit, à partir du moment où se trouve quelqu'un pour le financer. Ainsi, les déficits des années 80 n'avaient pas nui à la croissance car les investisseurs avaient confiance dans l'économie américaine et dans la force du dollar. Le danger pour un prêteur étranger, c'est d'être remboursé dans une monnaie dévalorisée. Tant que la monnaie est forte, il n'y a pas de risque à prêter et les déficits trouvent un financement. Mais si la monnaie baisse, comme c'est le cas actuellement, tout est remis en cause. Dès lors, qui va prêter les 500 milliards de dollars dont l'économie américaine a besoin chaque année si le dollar s'effondre ?

Pour l'instant, ce sont les Asiatiques et notamment les Chinois qui financent le déficit américain. Ces derniers ont indexé la valeur de leur monnaie (le yuan) sur celle du dollar, ce qui leur garantit de prêter sans risque. Par ailleurs, en finançant l'économie américaine ils assurent un débouché commercial à leurs produits. Les Américains achètent les produits chinois avec l'argent prêté par ces mêmes Chinois. Les déficits se creusent, ce qui entraîne une baisse du dollar et accroît la compétitivité de leur production. Au final, les Américains s'endettent, les Chinois se développent, et ce sont les Européens, dont la monnaie s'envole par rapport au couple dollar/yuan qui paient la facture.

Il ne faut pas se faire d'illusion sur la croissance américaine. Elle est fragile et seuls les pays asiatiques en profitent réellement. Pour une véritable reprise, l'Europe doit compter sur ses propres ressources en créant les conditions politiques de son déclenchement. Celles-ci passeront nécessairement par le retour d'une politique budgétaire ambitieuse, dégagée des contraintes du pacte de stabilité, et par une politique monétaire que le pouvoir politique doit se réapproprier. Les marchés, d'eux-mêmes, ne retrouvent pas le chemin de la croissance. C'est ce qu'avait compris Keynes ; c'est ce que doit réapprendre l'Europe.

Pour Parti Pris

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