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Vue de gauche
20 août 2010

Les services publics coûtent-ils trop cher ?

A l’issue de la seconde guerre mondiale, la mise en œuvre du programme du Conseil National de la Résistance s’était appuyée sur une politique de nationalisation et sur la création de la Sécurité Sociale. L’objectif était, pour la Nation, de s’approprier les principaux outils du développement économique et social plutôt que de laisser subsister un système dominé par quelques grandes féodalités économiques.

Dès lors, les fonctions économiques jugées essentielles pour le bien-être de chacun et pour l’exercice de l’intérêt général (l’énergie, l’éducation, la santé, les transports, la communication, les services bancaires et assurantiels…) furent mises sous la responsabilité de l’État. Ce dernier, par sa capacité à prélever taxes et impôts assurait le financement des services publics tout en garantissant à l’usager un égal accès et une égale qualité de la prestation. Grâce à la péréquation, les secteurs bénéficiaires finançaient les services déficitaires. Il est à noter que certains services publics locaux (l’eau, le transport urbain notamment) ont assez largement échappé à cette réappropriation publique, à l’exception notable des transports de la Région parisienne (création de la RATP en 1949).

Au sortir de la guerre, la société française, bien que ruinée, ne se posait pas la question du coût économique des services publics. Il était en effet admis que la reconstruction passait par une intervention massive de l’État dont les services publics étaient les outils privilégiés, en même temps qu’ils servaient de vecteur pour la modernisation sociale et économique du pays. En somme, les dépenses publiques dans le charbon et l’électricité, les réseaux de communication, la santé, l’éducation scolaire, la recherche etc. n’étaient pas perçues comme un coût, mais comme un investissement dont tous profitaient.

LA SITUATION ACTUELLE

Depuis la révolution néolibérale, et malgré le succès économique du modèle français de l’après guerre, les puissances économiques alliées à la droite et à certaines institutions politiques et économiques ont mis l’accent sur le coût des services publics pour permettre au secteur privé de prendre une part de plus en plus importante dans la production de ces services.

L’évolution démographique, sociale et économique a en effet entrainé une augmentation naturelle des besoins en services publics. Les coûts de santé, d’éducation, les infrastructures de transport, les besoins en énergie, etc. ont augmenté plus vite que la croissance économique. Il en est résulté un besoin de financement croissant. Tant que le consensus social et politique existait, ces besoins de financement ont toujours trouvé une réponse à leur mesure. Jusqu’aux années 80, des investissements d’envergure ont même pu être engagés par les pouvoirs publics (constitution du parc nucléaire, création des lignes ferroviaire à grande vitesse, etc.) Ce n’est qu’à partir des années 80, en même temps que les politiques de libéralisation et de privatisation s’engageaient en France et en Europe que la question du coût fût réellement posée.

Parallèlement, le système de prélèvement fiscal a été profondément transformé. Dans les années 80, l’unification du marché européen et la libre circulation des capitaux ont entrainé une concurrence fiscale de plus en plus forte au sein de l’Union. La plupart des pays ont ainsi engagé une politique de baisse des prélèvements sur l’épargne et les entreprises. A partir des années 90 la même logique libérale a abouti à une baisse des impôts directs sur les revenus et les patrimoines, en particulier grâce la multiplication d’exemptions et de niches fiscales dont le « bouclier fiscal » constitue la mesure emblématique. Comme le montant global des prélèvements obligatoires n’a pas diminué, ces cadeaux fiscaux aux entreprises et aux classes supérieures ont dû être compensés par l’augmentation des prélèvements indirects, beaucoup plus injustes socialement.

Les sociétés publiques ont de la même façon été mises à contribution, passant d’une logique de mission, au service de la société, à une logique marchande. Le paradoxe étant que ce n’est plus l’État qui finance le développement des services publics, mais ce sont les sociétés publiques productrices de ces services qui se mettent à financer l’État, ce dernier exigeant un versement de plus en plus importants de dividendes (106 millions d’euros pour La poste, 183 millions pour la SNCF, 920 millions pour France Telecom… et près de 2 milliards d’euros pour EDF).

La politique de décentralisation a également eu un impact sur la capacité de financement de certains services publics locaux. Une grande partie du patrimoine routier, l’action sociale et le versement du RMI puis du RSA, certains personnels de l’éducation nationale, ont été mis sous la responsabilité des collectivités locales. Or, leurs moyens sont souvent limités et leur ressources fiscales sont fondées sur des taxations socialement moins justes. Comme pour l’eau, la gestion des déchets et les transports urbains, il y a fort à parier que le transfert aux collectivités locales de nombreux services publics ne se traduise par une augmentation de la part du privé dans leur production.

Confronté à des besoins de financement croissants, mais engagé pour des raisons idéologiques dans une politique de baisse des prélèvements directs, l’État a cherché à se désengager de ses missions de service public. Certains services sont retournés dans la sphère marchande et ont été privatisés (France Telecom, les sociétés d’Autoroute, le pétrole et l’énergie…). Pour d’autres, qui sont gratuits et donc qui échappent encore à la marchandisation, le secteur public s’est associé au secteur privé : se sont les partenariats public-privé (PPP). Par exemple, la construction de nouveaux établissements pénitentiaires a pu être réalisée par des sociétés privées du BTP, l’État devenant locataire de ses propres prisons. La même logique a conduit à externaliser de nombreuses fonctions considérées comme périphériques (cantines scolaires, blanchisserie dans les hôpitaux, gardiennage…). De fait, aucun service public n’est à l’abri d’un recours de plus en plus intensif au secteur marchand, à l’image des Etats-Unis qui ont utilisé de véritables armées privées lors de leurs opérations en Iraq.

PROSPECTIVES ET ENJEUX

Rupture du principe d’égalité
Le premier enjeu que pose le sous-financement chronique des services publics et la baisse de la contribution de l’État concerne l’égalité d’accès et de prestation. Alors que la France d’après guerre était parvenue à fournir eau, électricité et téléphone sur chaque parcelle de son territoire, les compagnies privées opérant sur les marchés du téléphone portable ou de l’accès à Internet n’ont toujours pas été en mesure de constituer un réseau uniforme. D’autre part, le principe de péréquation est progressivement abandonné dans les entreprises comme la poste ou la SNCF, où il devient plus intéressant de fermer les lignes ferroviaires et les guichets les moins rentables. De la même façon, la politique de décentralisation tend à accentuer les inégalités entre territoires. Un jeune au RSA pourra-t-il bénéficier du même accompagnement en Seine Saint-Denis et dans les Hauts-de-Seine ? Aura-t-il accès de la même façon à un logement HLM ? Et demain, quelles conséquences pourraient avoir une territorialisation de l’éducation et de la sécurité publique ?

Un financement illégitime
Alors que l’égalité d’accès et de prestation sont de moins en moins bien assurées, les injustices de plus en plus fortes dans le financement des services publics tendent à fragiliser leur légitimité. Bouclier fiscal pour les uns, augmentation des taxes et des tarifs pour les autres. La logique marchande, de plus en plus assumée par les anciennes sociétés publiques, a cassé le rapport qu’entretenaient les Français avec leurs services publics. Dans le téléphone comme dans le transport ferroviaire, la recherche de rentabilité et les innovations marketing ont entrainé une multiplication des tarifs et une opacification de la prestation. Ce n’est plus la Puissance publique qui offre un service au citoyen-usager, mais c’est le client, souvent le plus vulnérable et le moins bien informé, qui achète et contribue aux recettes de l’État. C’est ainsi que, lorsque se dégradent les rapports que les Français entretiennent avec leurs services publics, la démagogie pousse les responsables politiques à promettre plus d’économies et d’efficacité en supprimant des postes dans les administrations et les sociétés publiques qui fournissent ces services.

Une perte de compétence de la collectivité
Le recourt au secteur privé, s’il permet de limiter les dépenses d’investissement publiques, n’est en rien un gage d’économie. La cour des comptes a régulièrement dénoncé certains contrats PPP par lesquels l’État sera amené à payer plusieurs fois le montant d’un bâtiment construit et géré par une entreprise privée. De même, les privatisations ont affaibli les capacités d’intervention publique dans les domaines aussi essentiels que les transports, les télécommunications et les nouvelles technologies. Enfin, le recours de plus en plus important aux prestataires privés dans le cadre de la production de services publics, non seulement permet rarement de réaliser des économies, mais tend à faire perdre à la collectivité certaines compétences au profit du secteur marchand. Or, même certaines activités qui apparaissent périphériques sont souvent essentielles à la qualité de la prestation (la qualité du nettoyage n’est-elle pas essentielle à la lutte contre les maladies nosocomiales dans un hôpital ?). Enfin, privatisations et externalisations de la production se font généralement au détriment des salariés concernés. En somme, ce que le citoyen perd en pouvoir de contrôle, l’usager le perd en qualité de service et le travailleur en condition de travail. Les seuls gagnants sont les propriétaires des compagnies qui investissent dans l’espace laissé par le recul de la sphère publique et qui peuvent ainsi reconstituer les anciennes féodalités économiques.

PROPOSITIONS ET RÉPONSES A APPORTER

Face aux inégalités sociales et territoriales, l’État doit retrouver un rôle majeur dans le financement des services publics et se réapproprier les outils d’intervention que constituent les entreprises qui remplissent ces fonctions. Cela passera nécessairement par une réforme fiscale plus juste et par la nécessaire augmentation des prélèvements directs.

Il doit également soutenir financièrement les collectivités territoriales qui chercheraient à se réapproprier la production de leurs services publics locaux. Ceci pourrait passer par la constitution d’un pôle public natio nal susceptible de fournir des services en matière de transport public, approvisionnement d’eau, gestion des déchets, etc. aux collectivités qui en feraient la demande. Pourquoi ce que font Suez ou Véolia ne pourrait être réalisé par une entreprise publique ? Les collectivités locales pourraient d’ailleurs elles-mêmes être partenaires dans un tel projet.

Enfin, il convient d’investir massivement dans le logement, l’un des services publics les moins efficaces à l’heure actuelle. Cela doit passer par un contrat avec les mairies et pourrait être financé en partie par la refonte et l’augmentation du « 1% logement » (taxe sur la masse salariale dont les entreprises de 10 à 20 salariés ont été exonérées en 2006). On peut également envisager d’utiliser pour la construction de logements sociaux une partie des aides publiques utilisées pour l’accès à la propriété et qui sont souvent inefficaces économiquement et injustes socialement.

POINTS A DÉBATTRE

L’une des questions centrales dans le financement des services publics concerne la part de l’État, des collectivités territoriales et de l’usager dans le financement des services publics. Si la gratuité et un financement national doivent rester la norme pour certains services essentiels comme l’éducation, la santé ou la sécurité (forces publiques, justice, armée). D’autres services sont souvent payants et subventionnés (les transports en commun, la culture…) ou alors uniquement financés par l’usager (l’électricité, les transports ferroviaire grandes lignes, l’eau…).

Le débat démocratique pourrait néanmoins envisager de modifier la part de chacun dans le financement. Par exemple, la création de polices municipales ne constitue-t-elle pas un transfert dans la charge de financement de la sécurité de l’État vers les municipalités ? L’État ne devrait-il pas davantage subventionner le transport ferroviaire, aujourd’hui largement aidé par les régions, afin de répondre aux nécessités écologiques ? Enfin, la gratuité dans les transports publics urbains ne serait-elle pas plus efficace que le système actuel qui suppose un coûteux mécanisme de contrôle et de sanction contre les resquilleurs ?

CONCLUSION

Le modèle socio-économique français s’est construit en partie grâce à ses services publics dont le financement a longtemps été laissé à l’État. C’est donc la Nation qui, en finançant les services publics en contrôlait la production, la qualité, et garantissait ainsi les droits des usagers et la préservation de l’intérêt général. Les collectivités territoriales, qui disposaient de moins de ressources financières, n’ont pu assurer de la même façon la production de services publics locaux. Ces derniers ont été, pour une large part, laissés au secteur marchand. Or, depuis le milieu des années 80, les politiques libérales ont affaibli les ressources financières de l’État et accentuées les injustices fiscales. Ceci l’a conduit à se désengager de la production de services publics et à opter pour une logique de rentabilité. Cette marchandisation a entraîné une dégradation de la qualité des prestations et a menacé les principes d’égalité et de péréquation. Pour rompre avec cette logique, il convient donc que l’État, via une fiscalité plus juste, se réengage dans la production de services publics et soutienne les collectivités locales à faire de même.

Lire aussi: Les services publics garantissent les droits réels.

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