Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Vue de gauche
13 décembre 2009

Interdire les bonus, re-réglementer la finance et taxer les profits bancaires

En manque de popularité dans leurs pays respectifs et tous deux confrontés à des échéances électorales au printemps prochain, Gordon Brown et Nicolas Sarkozy ont cru bon d’endosser l’habit du moine bénédictin en mission pour la régulation du far west financier en annonçant la création d’une taxe sur les bonus bancaires. Les deux moines-soldats ont cependant bien pris garde à ne pas trop affûter leur bâton fiscal. Même si pour Gordon Brown le projet s’inscrit dans un ensemble cohérent de réformes de la fiscalité britannique qui vise à augmenter (un peu) les taxes sur les hauts revenus et la spéculation, pour Nicolas Sarkozy, il s’agissait surtout de saisir la perche en évitant de paraître plus libéral que les anglais… tout en posant comme condition que cette taxe soit reprise par d’autres pays européens. Pour l’instant, Angela Merkel trouve l’idée « charmante », mais elle s’est bien gardée de la moindre annonce (sa nouvelle coalition libérale-conservatrice ne sera pas facile à convaincre). Il n’est donc pas sûr que la taxe française soit réellement mise en application.

Banks_vs_People
Quoi qu’il en soit, le coup médiatique a porté et c’était bien le but de la manœuvre. Après le sauvetage de la City pour 850 milliards de livres d’argent public, le retour des profits bancaires et l’auto-versement par les banquiers de bonus de plusieurs milliards passaient mal auprès des contribuables britanniques. Selon le gouvernement de Londres, plus de 5 000 banquiers de la City auraient dû toucher des bonus supérieurs à 1 million de livres au titre de l’année 2009. En France, même si les chiffres sont moins bien connus, on sait déjà que les grandes banques françaises ont prévu de lourdes provisions pour rémunérer leurs traders, à l’exemple de la BNP qui prévoit de verser près d’un milliards d’euros en rémunérations variables aux responsables de ses salles de marché. Notons qu’aux Etats-Unis, où le total des bonus devrait se monter à 140 milliards de dollars (soit une moyenne de plus de 140 000 dollar par employé), aucune taxe n’est prévue. Mais il paraît qu’Obama fronce les sourcils.

Le problème est que si le projet de taxe franco-britannique répond à une attente légitime de l’opinion, il n’est absolument pas à la hauteur de l’ambition affichée.

Premièrement, la taxe sera « exceptionnelle », donc temporaire, limitée aux bonus versés en 2010. Il sera donc simple pour les banques de reporter le versement des primes à l’année suivante. C’est la raison pour laquelle le gouvernement britannique ne s’attend qu’à toucher 550 millions de livres au titre de ce prélèvement, alors que le volume des bonus prévus auraient sans doute dépassé les 10 milliards sans la taxe.

Deuxièmement, cette taxe ne touchera que les rémunérations sous forme de prime. Rien n’empêchera les banques de transformer les bonus en salaires… et de faire varier ce salaire chaque année, une fois connue les « performances » des traders. Le résultat sera exactement le même que si les banques avaient versé des bonus, mais elles éviteront ainsi de payer la taxe. En France, cette stratégie de contournement sera d’autant plus simple que ces revenus bénéficieront de la protection du bouclier fiscal.

Troisièmement, on peut noter que s’ils avaient vraiment voulu taxer et réglementer les bonus, Brown et Sarkozy n’auraient pas signé deux mois plus tôt l’accord du G20 de Pittsburg qui n’a abouti qu’à quelques vagues recommandations liées à l’étalement des versements des bonus. C’est à cette époque, lors de ce sommet, qu’il fallait parler de taxation au lieu d’afficher un sourire béat et de courir après une photo avec le président américain.

Mais le plus grave c’est surtout que taxer les bonus ne résoudra pas la question. En effet, le problème posé par ces rémunérations n’est pas lié à l’immoralité des sommes en jeu, mais surtout au fait qu’elles ne font qu’encourager une activité économique dangereuse, dont le coût est toujours supporté par la collectivité. Est-ce qu’on rémunère un chauffard qui conduit à 150 dans une rue piétonne en plein centre ville ? Est-ce que taxer sa prime de vitesse résoudra le problème ? Ce n’est pas une taxe qu’il faut pour les bonus bancaires, c’est une interdiction. Et ce n’est pas avec un manuel de bonne conduite qu’on va réguler les salles de marché, mais avec une re-règlementation sérieuse susceptible d’instaurer une police, des contraintes, et un code de la route strict qui évitera que les futurs dérapages de quelques banquiers nuisent à l’ensemble de la société.

Enfin, rien de tout cela ne sera possible tant qu’on laissera les banques faire des profits totalement déconnectés de leurs véritables contributions économiques. Le système financier actuel fonctionne comme une gigantesque pompe aspirante qui siphonne toutes les richesses de l’économie réelle. Il est urgent d’y mettre un terme. Et s’il est trop compliqué de changer immédiatement tout le moteur de l’économie contemporaine, le moins que l’on puisse faire c’est de taxer les profits bancaires, comme la commission des finances de l’Assemblée l’avait proposé et comme nous l’avions écrit dernièrement. L’économiste Frédéric Lordon propose depuis des années l’instauration d’un taux de profit financier maximal, mesure qui pourrait empêcher le secteur financier de sombrer périodiquement sous sa propre rapacité en emportant le reste de l’économie avec lui. Hélas, le gouvernement s’est déjà opposé à ce type de taxe et il y a fort à parier que si taxation des bonus il y a (ce qui n’est pas encore fait), ce sera surtout pour masquer l’absence de vraie mesure sur toutes les questions importantes.

Publicité
Commentaires
Vue de gauche
Publicité
Derniers commentaires
Archives
Publicité