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17 octobre 2008

Aux origines de la crise: la faillite de Bretton Woods

A l'heure où l'on parle d'un « nouveau Bretton Woods », il convient de rappeler que les accords de Bretton Woods n’ont pas suffit à transformer durablement le capitalisme. Il faut en tirer la leçon et proposer une réforme beaucoup plus ambitieuse, fondée sur l’encadrement strict des pratiques commerciales.

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Nous sommes en juillet 1944, dans la petite ville paisible de Bretton Woods. C’est dans ce décor somptueux des montagnes blanches du New Hampshire que les représentants de 45 pays alliés se réunissent. Leur objectif : établir un système monétaire international qui permettra le retour de la paix et du développement économique. Mais cette conférence n’est en réalité qu’une habile mise en scène, car cela fait des années que les délégations anglaises et américaines en négocient les détails entre elles. Quelques jours auparavant, White et Keynes, qui dirigent respectivement les délégations américaine et britannique, se sont même rencontrés dans un hôtel d’Atlantic City afin d’aplanir leurs derniers différents.

L’enjeu est considérable. La crise de 1929, et les guerres commerciales qui l’ont suivi avaient profondément déstabilisé l’économie mondiale. Aussi, pour éviter le dumping monétaire et sécuriser les transactions, il fut décidé d’établir un système de parité fixe entre les monnaies. La logique en était fort simple : chaque monnaie devait être convertible en un montant fixe de dollars, tandis que le dollar était convertible en or. La pérennité de ce système reposait sur la capacité des pays à maintenir la valeur de leur monnaie, ce qui impliquait de garder suffisamment de dollars (ou d’autres monnaies convertibles) en réserve, par rapport à la quantité de monnaie créée. La convertibilité du dollar reposait quant à elle sur les formidables réserves en or des Etats-Unis, détenteurs à l'époque de 80% de l’or mondial.

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UN ACCORD PAS SI CLAIR

Si les délégations anglaises et américaines parvinrent à se mettre d’accord sur les grandes lignes de ce plan, ils s’opposèrent néanmoins sur son application et sur sa logique. Keynes avait parfaitement conscience des limites des accords de Bretton Woods, a tel point qu’il hésita à en recommander le rejet. Retenons deux idées de Keynes particulièrement innovantes pour l’époque et rejetées par les américains. La création d’une monnaie internationale, le bancor, qui se serait appuyée sur une banque centrale mondiale (et que le couple FMI / dollar a remplacé) ; la création d’une organisation chargée de réguler les échanges commerciaux et qui interdirait les pratiques de dumping. Keynes considérait en effet les déséquilibres commerciaux comme profondément destructeurs pour la stabilité du système. Il militait pour qu’en cas de déséquilibre commercial entre partenaires, les deux parties soient contraintes de changer de politique. Au contraire, dans la vision de Bretton Woods défendue par les américains, seul le pays en déficit était tenu de régulariser sa situation. Il devait emprunter auprès du FMI pour reconstituer ses réserves de change, et accepter en échange un plan d’ajustement structurel ou une dévaluation.

Absentes de la déclaration finale des accords de Bretton Woods, les idées de Keynes sur le commerce ne furent pas immédiatement abandonnées. En 1948, la Charte  de la Havane prévoyait la création d’une Organisation internationale du commerce (OIC). Dans son concept, l’OIC était une institution des Nations unies qui cherchait le développement économique et social avant le développement du commerce. Elle avait pour mission de préserver des normes de travail équitables chez ses signataires, en collaboration avec l’Organisation internationale du travail. Enfin, et cela était sans doute le plus important, elle promouvait l’équilibre structurel des balances commerciales. Rejetée par le Congrès américain, elle ne fut jamais appliquée. Dès lors, ce fut l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT), signé un an plus tôt par un groupe restreint de pays, qui s’appliqua. Or, les deux systèmes n’étaient pas équivalents. Le GATT n’était qu’un accord technique visant à limiter les droits de douanes des principales puissances industrielles. Avec le Plan Marshal, qui rendait solvables les économies européennes, les Etats-Unis avaient en effet tout à gagner à la libéralisation du commerce. C’est donc l’accord du GATT qui régula les échanges mondiaux pendant presque cinquante ans, jusqu’à la création de l’Organisation mondiale du commerce en 1995, qui poursuit cependant la logique libre-échangiste du GATT.

LA FAILLITE DE BRETTON WOODS

Mais l’absence d’encadrement sérieux des pratiques commerciales précipita la chute du système de Breton Woods. Pour qu’elle fonctionne durablement, la logique de la parité fixe nécessitait une répartition équilibrée des réserves en dollars, chose qui n’était possible que si les balances commerciales étaient structurellement équilibrées. Mais à la différence de l’OIC, le GATT ne permettait pas un tel équilibre. Les pays en déficits étaient toujours en manque de dollars, et donc empruntaient au FMI, tandis que les pays exportateurs, comme l’Allemagne, avaient tendance à en accumuler. Entre les prêts du FMI, qui permettaient de créer des dollars là où il en manquait, et les réserves croissantes des économies exportatrices, le système était globalement inflationniste en dollars.

Pour les pays exportateurs qui disposaient d’importantes réserves, la tentation était forte de demander leur conversion en or. Dès la fin des années 60, le niveau d’accumulation de ces pays était tel qu’il condamnait le maintien de la convertibilité du dollar. Le choc viendra de la détérioration brutale de la balance commerciale américaine, au début des années 70, qui entraîna une exportation massive de la monnaie américaine et mit fin à sa convertibilité. Ce fut le retour à un système de change flottant… et la fin de Bretton Woods.

Components_of_the_Current_Account__large_Libérés de la contrainte liée à l’obligation de convertibilité, l’économie américaine put profiter pleinement de la force institutionnelle de sa monnaie. Pendant trente ans, les Etats-Unis s’appuyèrent sur leur puissance financière pour compenser leur déficit commercial croissant par un endettement tout autant croissant. Ils trouvèrent ainsi un moyen commode de financer investissements et consommation. C’est ce système, fondé sur l’endettement massif, qui trouve aujourd’hui ses limites. La crise actuelle est la conséquence de la faillite de Bretton Woods, qui elle-même est une conséquence de l’absence de régulation sérieuse du commerce mondial. Espérons que cette leçon aura été retenue. Il sera toujours possible, lors d’un éventuel « nouveau Bretton Woods » de reprendre la charte de la Havane et de transformer l’OMC en OIC.

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