Associations versus service public
Dans le dernier numéro de Socialisme et démocratie jeunes, un article consacré à
la politique associative a particulièrement retenu mon attention. Son auteur
estime que le secteur associatif peut souvent remplacer avantageusement le «
service public nationalisé » dans la mesure ou il s’avèrerait à la fois plus
proche du « terrain » et plus efficace. Selon lui, l’origine de cette
supériorité se trouverait dans la concurrence des associations qui les
pousserait à faire « sans arrêt la preuve de leur utilité et de leur efficacité
».
L’auteur conclut son analyse en appelant à un partenariat renforcé
Etat / associations qui accorderait davantage de place au secteur associatif
dans des domaines aussi divers que « l’éducation », « l’insertion », les «
structures médicales »… Ces associations, tout en étant subventionnées,
constitueraient de véritables « contre-pouvoirs » fondés sur « l’assentiment
populaire ». Indépendante de l’Etat tout en recevant ses subventions, elles ne
devraient pas l’être de l’action politique institutionnelle. L’auteur désigne
alors son « principal adversaire » comme étant le discours de ceux qui prônent «
la rupture avec le politique », tout en « s’occupant de sujets politiques
».
Les arguments développés par notre camarade de Socialisme et
démocratie me semblent particulièrement dangereux et contraires à la fois au
socialisme et à la démocratie.
En premier lieu, l’argument de
l’inefficacité du service public est totalement fallacieux. Qu’est-ce que
l’efficacité ? Je me souviens que lorsque la droite a proposé d’instaurer la
prime au « mérite » pour les fonctionnaires, les syndicats ont aussitôt fait
valoir les limites d’un tel système. Comment juger de l’efficacité d’un
fonctionnaire de police, d’un médecin ou d’un enseignant ? Car le service public
n’est pas la production mécanique d’un bien standardisé, comme une automobile :
c’est avant tout la création d’un lien social dont la valeur n’est pas
directement mesurable. Est-ce qu’un agent de police qui joue les conciliateurs
dans un immeuble en banlieue est moins efficace que celui qui procède à des
arrestations à tour de bras ?
Se contenter d’affirmer que les
associations sont plus proche du « terrain » que les agents des services publics
est un peu court. Les enseignants, les fonctionnaires de polices, les
assistantes sociales et même les employés des postes sont souvent bien mieux
immergés dans la société et bien davantage confrontés aux problèmes sociaux que
l’association caritative de madame la baronne. Il y a d’ailleurs de bonnes
raisons à cela. Les associations sont libres de leur choix quant à leur activité
et leur implantation. Si une association décide de ne plus s’occuper des
problèmes sociaux de Sarcelles, aucun élu ne pourra l’y contraindre. En revanche
les services publics d’éducation, de police, la poste, couvrent l’ensemble du
territoire national sans exclure la moindre banlieue, même les plus
difficiles.
S’appuyer davantage sur le secteur privé, déléguer aux
associations une part des prérogatives de l’Etat n’est pas faire preuve
d’efficacité en ce qui concerne le lien social. C’est au contraire prendre le
risque de voir se développer des inégalités de traitement entre certains
secteurs où le milieu associatif est riche et dynamique, et d’autres où il peut
être totalement absent. Or, permettre le développement de ces inégalités est
contraire aux principes du socialisme.
Le second danger est un danger
démocratique. Les associations sont des administrations « privées », c’est à
dire qu’elles sont régies par leurs propres règles de fonctionnement, validés
selon un processus de démocratie interne. Si un individu n’est pas satisfait du
service d’une association, il n’a pas directement le pouvoir d’en changer la
direction ou la politique. Même les adhésions sont souvent soumises à conditions
(notamment celle de payer sa cotisation). En tout état de cause, l’action d’une
association n’est pas soumise au suffrage universel, mais au suffrage de ses
seuls membres. Une démocratie fondée sur l’action d’une multitude d’associations
en concurrence, comme le prône Socialisme et démocratie serait donc une
démocratie fractionnée, réservés aux militants associatifs actifs capables de
payer une multitude de cotisations et de s’investir pleinement. Ce serait une
forme de démocratie d’activistes, une démocratie sans le peuple, c’est à dire
une démocratie sans démocratie.
Nous pouvons donc conclure que les
propositions prônées par notre camarade de Socialisme et démocratie sont à la
fois contraire aux principes du socialisme, en raison du risque qu’elles font
peser sur le développement des inégalités, et de ceux de la démocratie, en
substituant à l’action de l’Etat soumise au suffrage universel, une action
associative, soumise à la seule loi de ses membres.