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29 avril 2001

La réforme des retraites

Hier, un journaliste disait à la radio qu’en 2050 l’Espagne serait le plus vieux pays du monde, avec une moyenne d’âge de 54 ans. C’est tout de même étonnant de voir la précision à laquelle ils parviennent ces journalistes sachant que la moitié des gens qui vivront en 2050 en Espagne ne sont pas encore nés, et que ceux qui naîtront en 2030 sont issus de parents qui eux-mêmes ne sont pas nés…

Mais il n’y a aucun miracle à cette prévision étonnante. On a seulement pris l’indice de fécondité actuel de l’Espagne (qui tourne autour de 1,2 enfants par femme) et on l’a transposé sur cinquante ans. Il y a vingt ans, si on avait appliqué la même méthode, on serait tombé sur le résultat exactement inverse. L’Espagne, avec un indice de fécondité nettement supérieur à la moyenne européenne, risquait la surpopulation…

Ce qui est amusant, c’est qu’on fait des prévisions sur cinquante ans en se basant sur les données de l’année. C’est absurde, évidemment. Et puis, pourquoi s’arrêter à cinquante ans ? Faisons donc des prévisions sur cent ans, deux cents ans. Catastrophe ! dans trois cents ans l’Espagne ne comptera plus que 240 000 habitants…
Régulièrement, les économistes et les démographes s’allient pour nous parler des retraites et de l’inexorable faillite à laquelle nous courrons si nous ne savons pas ‘‘réformer’’ notre système ‘‘obsolète’’, ‘‘inefficace’’ et ‘‘coûteux’’. Le constat paraît clair. D’ici à deux mille quelque chose, on aura un tel nombre de retraités qu’il ne sera plus possible de leur garantir une retraite en préservant le régime par répartition. Celui-ci devra donc nécessairement ‘‘s’adapter’’, en octroyant plus de ‘‘souplesse’’ aux cotisants, leur permettant par exemple de s’appuyer sur la capitalisation ou l’épargne salariale pour compléter leur inévitablement ‘‘maigre’’ pension.
Il y a un peu plus d’un an, tous les rapports de soi-disant experts défendaient avec forte conviction la capitalisation et les fonds de pension en expliquant qu’il fallait profiter des ‘‘performances’’ de la bourse. Certains (rapport Charpin) n’hésitaient pas à comparer la croissance économique des prochaines décennies qui risquait de se traîner à 1,7 % par an, à la bourse qui était sensée poursuivre sur sa lancée de 6,6 %. Résultat selon eux, la répartition dont les cotisations sont indexées sur les salaires (et donc sur le niveau de croissance) risquait de s’avérer nettement moins rentable que la capitalisation dont les actifs sont placés en action.

Comment un économiste peut-il sérieusement croire que la bourse augmentera durablement à un rythme supérieur de 5 points à celui de l’économie ? La bourse n’est-elle pas le reflet des performances économiques ? En réalité, si elle s’écarte durablement des ‘‘valeurs fondamentales’’ c’est que nous sommes en présence d’une ‘‘bulle spéculative’’. Et une bulle, par définition, ça ne dure pas, ça éclate un jour ou l’autre. La preuve. Regardez les ‘‘performances’’ de la bourse l’année suivante. C’est curieux… On entend moins parler des fonds de pension aujourd’hui…

La bulle a éclaté, c’est entendu. Mais qu’est-ce qui, auparavant, avait provoqué cette ‘‘exubérance irrationnelle des marchés’’, pour reprendre les mots de M. Greenspan, Président de la Réserve fédérale américaine ? Les fonds de pension, pardi ! C’est justement l’épargne des salariés américains qui est arrivée en masse sur les marchés européens, et qui, naturellement, a provoqué une augmentation artificielle de la demande de titres et une hausse des cours boursiers, laquelle était le principal argument des fonds de pension en France…

Par contre, ce qu’ils n’ont pas bien expliqué, c’est en quoi la capitalisation allait changer quoi que ce soit au rapport actif / inactif de 2050. Car, que l’on répartisse l’argent selon un mode de répartition ou de capitalisation, le résultat est exactement le même. En effet, quel que soit le régime que l’on choisit, ce n’est pas la richesse que l’on produit aujourd’hui qui profitera aux retraités de demain. A moins de garder en réserve une partie de sa production nationale quelque part, ce sera toujours la richesse produite en 2050 qui profitera (ou ne profitera pas) aux retraités de 2050. Dès lors, si en 2050 on a plus d’inactifs que d’actifs, on ne résout aucune équation du problème en instaurant un régime par capitalisation : ce sera toujours aux actifs de 2050 de produire les marchandises que consommeront les retraités de 2050.

Qu’est-ce que la capitalisation, en réalité ? C’est une épargne obligatoire. C’est une formidable manne pour l’investissement, pour le secteur financier d’un pays. Aujourd’hui, la finance est au cœur de la guerre que se livrent nos grandes entreprises nationales dans le but d’atteindre une taille ‘‘globale’’. Cette bataille nécessite des capitaux. Vivendi se les est procurés par la privatisation du marché de l’eau, mais peu d’entreprises se trouvent effectivement sur un tel ‘‘marché porteur’’. Les banques françaises sont en pleine restructuration interne. Restent les assurances. Mais celles-ci ne disposent pas de ressources nouvelles. Sauf si on leur laisse la possibilité de profiter de l’épargne que ne manquerait pas de susciter les fonds de pension.
Il est sûr que dès qu’on autorisera les fonds de pension, toutes les compagnies d’assurance vont se battre pour nous proposer, à grand renfort de prospectus, leurs taux de retraite ‘‘garantis’’, leurs cotisations modestes et raisonnables et leurs contrats ‘‘sécurité’’, ‘‘investissement’’ ou ‘‘minima’’. Pour mieux se faire valoir, chaque fonds de pension devra monter ses propres produits, son réseau d’agences, mettre en place sa politique de prix, jusqu’à ce qu’on n’y comprenne plus rien. Un peu comme pour les communications téléphoniques : depuis qu’on a privatisé et déréglementé sous les judicieux conseils de la Commission européenne, non seulement plus personne ne s’y retrouve dans la jungle des tarifs et des abonnements, mais plus les tarifs baissent, plus les factures de téléphone augmentent.

Où ces fonds de pension privatisés trouveront-ils les ressources pour organiser leur publicité, pour construire leurs agences, payer leurs employés ? Dans nos cotisations, pardi ! C’est nous qui, inquiets pour nos retraites, nourrirons leur expansion. Du moins, jusqu’à ce qu’ils fassent faillite. Car c’est ce qui ne va pas manquer d’arriver lorsqu’en 2050, ils se retrouveront avec seulement deux cotisants par retraité.

On peut répondre que pour éviter une faillite des fonds de pension en 2050 il suffirait de leur imposer des règles prudentielles. Les Américains le font bien. Ils exigent un ratio fixe entre les valeurs risquées de la bourse et d’autres actifs sans risques. Réglementons, alors. Mais dans ce cas, on ne voit plus bien l’intérêt de laisser au secteur privé des fonds d’investissement que les pouvoirs publics se chargeraient de réglementer. Avec tous les mécanismes de contrôle que cela nécessitera, on peut même se demander s’il ne serait pas plus judicieux de laisser directement les pouvoirs publics et les partenaires sociaux gérer les cotisations des salariés. Doux retour des choses : c’est exactement ainsi que fonctionne notre régime de retraite. Comme quoi il ne doit pas être si « inneficace » que cela.

Bien entendu, ce n’est pas parce qu’il est efficace qu’il est rentable. Si effectivement les conditions démographiques se transforment, et si le rapport entre actifs et inactifs chute en défaveur des actifs, tout système de retraite quel qu’il soit risque de connaître des difficultés. Il ne s’agit pas de nier les problèmes mais de les resituer dans leur contexte. De la richesse est créée chaque année. Et chaque année, cette richesse s’accroît au rythme de croissance de l’économie. On peut vouloir la répartir en fonction de conventions sociales différentes. Dans le système économique actuel, les richesses produites profitent principalement aux financiers, et dans une moindre mesure aux salariés et aux retraités. Vouloir opposer à tout prix salariés et retraités en considérant que ce que l’on donne aux uns doit nécessairement être pris aux autres, c’est oublier que la question de la répartition des richesses est une question politique qui concerne l’ensemble de la collectivité. Et il n’y a aucune raison de considérer que les salariés doivent porter seuls le poids du choc démographique. C’est pour cette raison que si un effort doit être fait, il doit aussi concerner les détenteurs de capitaux qui profitent largement des richesses produites chaque année par la collectivité sous forme de dividendes et de plus-values.

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